Voici le seul homme à être tombé au cœur d’un cumulonimbus… et à avoir survécu !

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Crédits : Babelio / NASA (image d'illustration).

En cet après-midi du 26 juillet 1959, le pilote américain William Rankin (1920-2009) fut contraint de procéder à une éjection d’urgence alors qu’il survolait un orage. Sa chute à travers le cœur du cumulonimbus le rendit mondialement célèbre. Seul homme à avoir jamais survécu à une telle expérience, il détailla son histoire dans un ouvrage intitulé L’homme qui chevaucha le tonnerre.

La menace cumulonimbus

Le nuage d’orage qu’est le cumulonimbus représente une menace certaine pour nombre d’activités humaines. C’est en particulier le cas pour le secteur de l’aviation. Aussi, les pilotes ont recours à de multiples manœuvres pour éviter d’être confrontés de près ou de loin aux sautes d’humeur du roi des nuages.

Lorsqu’une zone orageuse se trouve sur la trajectoire de l’appareil, ils choisissent habituellement de la contourner. Si le système météorologique est trop étendu et/ou que le sommet des cumulonimbus n’est pas excessivement élevé, la décision sera plutôt de passer au-dessus. Enfin, si aucune de ces options n’est envisageable, l’engin pourra effectuer un atterrissage en urgence ou traverser la partie stratiforme de l’orage (la moins turbulente) quand celle-ci existe.

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Le lieutenant-colonel William Rankin, ici avant sa chute dans un nuage d’orage. Crédits : Babelio.

En pratique, les choses ne se passent pas toujours comme prévu. À ce titre, la situation à laquelle fut confronté le lieutenant-colonel William Rankin en juillet 1959 fait office de rappel très symbolique. En effet, l’ancien pilote américain est moins connu pour ses combats aériens menés à la Seconde Guerre mondiale et en Guerre de Corée que pour l’incident qui le frappa alors qu’il survolait un cumulonimbus.

Ce qui devait être un simple vol de routine

Les conditions météorologiques étaient pourtant favorables lorsque Rankin monta dans son avion de chasse pour rejoindre le quartier général de son unité à Beaufort (Caroline du Nord) ce 26 juillet. Le météorologue de la base aéronavale de South Weymouth (Massachusetts) d’où il venait de décoller lui avait toutefois indiqué l’apparition possible de phénomènes orageux en cours de route. Néanmoins, il était uniquement fait mention de cumulonimbus isolés dont le sommet ne devait pas dépasser les 12 000 mètres.

Ce qui aurait dû être un simple vol de routine amorça une tournure inattendue lorsque Rankin approcha de la ville de Norfolk en Virginie. Dans le secteur se trouvait en effet une organisation orageuse notablement plus virulente que ce qui était annoncé. Son sommet culminait à environ 14 000 mètres. Toutefois, ce n’était pas suffisant pour inquiéter notre pilote. Comme l’appareil du vétéran de l’US Marine Corps était assez puissant pour s’élever jusqu’à 15 000 mètres, il décida de passer au-dessus. Néanmoins, alors que le F-8U Crusader atteignit les 14 300 mètres à la vitesse de Mach 0,82, le début du cauchemar commença.

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Ici, le plus simple est de contourner le nuage. Crédits : capture vidéo / Girish Karkera.

Au-dessus du sommet glacé de l’orage, une importante déflagration secoua Rankin. Lorsque ce dernier aperçu le clignotement du voyant d’alarme incendie sur son tableau de bord et le compte-tours pointer à zéro, il comprit que le moteur de l’appareil venait de lâcher. Le lieutenant-colonel pouvait heureusement compter sur son groupe auxiliaire, prévu pour lui sauver la mise en cas de panne accidentelle comme celle-ci. Enfin, c’est ce qu’il pensait. Alors qu’il tira le levier pour actionner le générateur, il vit celui-ci se briser dans sa main. Une telle malchance était tout sauf familière pour Rankin qui réalisa qu’il n’avait plus d’autre choix que de s’éjecter du cockpit.

S.O.S.

Simplement vêtu d’une veste de pilotage, l’homme venait de plonger très brutalement dans l’environnement inhospitalier de la haute troposphère. La température avoisinait les -50°C et la pression était réduite au tiers de celle de sa carlingue. Sans combinaison adaptée, Rankin subissait directement les effets du froid et de la décompression brutale consécutive à son éjection, ceci tout en tombant en direction de l’orage qu’il avait voulu, non sans un certain orgueil, prendre de haut.

Tirer sur les poignées d’éjection du siège à plus de 14 000 mètres comme il venait de le faire était insensé. Cependant, cela se présentait surtout comme une ultime tentative de s’en sortir. Situation désespérée, mesure désespérée !

F-8 Crusader, du type de celui piloté par William Rankin au moment de survoler l’orage. Crédits : Wikimedia Commons.

Alors qu’il précipitait en direction de l’enclume, le froid le travaillait au corps. Des gelures se dessinaient rapidement sur toutes les parties exposées. Visage, mains, poignets, chevilles furent saisis par l’air glacial et peu à peu engourdis. Aussi, le pilote ne sentait plus vraiment la douleur. Quant à la décompression brutale, elle provoqua un gonflement suffisamment important de ses organes pour le faire saigner des yeux, des oreilles, du nez et de la bouche. En dépit des réactions terribles de son corps, Rankin arriva malgré tout à utiliser l’oxygène de secours qui lui permit de rester conscient.

Cumulonimbus : au cœur des ténèbres

Lorsqu’il pénétra dans le nuage d’orage peu de temps après son éjection, la visibilité diminua rapidement à mesure qu’il s’enfonçait dans le monstre. Dans son ouvrage, le pilote décrit le spectacle effroyable qu’est celui de traverser un cumulonimbus. D’en ressentir l’innommable puissance dans sa chair. Ajouté à une visibilité quasi nulle et à des turbulences qui ballotaient Rankin comme une vulgaire feuille d’automne, l’air portait une myriade de particules aqueuses. L’incroyable masse d’eau rendait sa respiration difficile, noyant presque le malheureux. En outre, les grêlons qui naissaient dans les ténèbres le martelaient violemment, provoquant plusieurs ecchymoses.

Tandis que tantôt Rankin chutait, tantôt remontait en altitude suite à l’aspiration des violentes ascendances, des éclairs surgissaient près de lui au point de l’exposer à de véritables ondes de choc. « Je n’entendais pas le tonnerre, je le sentais », décrit-il dans son livre. Tout ce dont il était certain est qu’il se situait désormais aux alentours de 3000 mètres, car son parachute s’était déployé. En effet, le système barométrique associé à celui-ci devait se déclencher automatiquement à ladite altitude. Pourtant, la chute ne semblait jamais s’arrêter et les ombres qui l’entouraient anéantissaient toute perspective de retour au calme. Épuisé, le pilote commença à tourner de l’œil.

La fin du cauchemar

Après ce qui lui a paru être une éternité depuis son éjection, Rankin quitta l’intimité de l’orage et atterrit tant bien que mal dans une forêt de pins. Malgré l’épreuve inédite qu’il venait de subir, il trouva la force nécessaire pour chercher de l’aide. En claudiquant sur les chemins forestiers, il prit la direction d’une route de campagne. Il y croisa une voiture qui le transporta vers un magasin de proximité. Après avoir passé un coup de fil, il attendit l’arrivée des secours qui l’emmenèrent en urgence vers un hôpital de Caroline du Nord.

William Rankin à l’hôpital d’Ahoskie (Caroline du Nord) après son passage à travers un cumulonimbus. Cette expérience l’aura marqué à vie, et à juste raison. Crédits : Babelio / Wikimedia Commons.

Non seulement Rankin avait survécu à cette descente infernale, mais en plus il ne souffrait d’aucune blessure grave. Les médecins qui l’examinèrent, au même titre que le pilote lui-même, étaient consternés du fait qu’il ne soit pas mort. Le miraculé se portait même très bien compte tenu de ce qu’il venait de traverser. C’est via de multiples coups d’œil jetés sur sa montre que Rankin put savoir que sa descente de 14 300 mètres lui avait pris quarante minutes. Éjecté à 18 h 00 et arrivé en surface à 18 h 40, la turbulence de l’orage avait retardé sa chute de trente épouvantables minutes !

Sources : L’homme qui chevaucha le tonnerre, William Rankin (sorti en 1961, un an après la parution de l’œuvre originale The Man Who Rode the Thunder) / Le guide du chasseur de nuages, Gavin Pretor-Pinney.