Comment les virus ARN gouvernent secrètement les océans

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Des milliers de virus Ă  ARN rĂ©cemment identifiĂ©s dans les ocĂ©ans du monde pourraient exercer une Ă©norme influence sur les Ă©cosystèmes. En reprogrammant les hĂ´tes qu’ils infectent, ces derniers pourraient en effet avoir une influence jusqu’alors insoupçonnĂ©e sur le cycle du carbone.

Les virus de l’ocĂ©an

Un virus Ă  ARN est un virus dont le matĂ©riel gĂ©nĂ©tique est constituĂ© d’ARN, un cousin molĂ©culaire de l’ADN. On connaĂ®t de nombreux exemples de ces agents pathogènes sur la terre ferme, dont certains sont connus pour infecter les humains. Les coronavirus et les virus de la grippe sont des exemples. En revanche, ceux Ă©voluant dans le milieu ocĂ©anique sont encore très mĂ©connus. Combien sont-ils ? Quels hĂ´tes infectent-ils ?

Plus tĂ´t cette annĂ©e, une Ă©quipe de chercheurs dirigĂ©e par Guillermo Dominguez-Huerta, de l’UniversitĂ© d’État de l’Ohio, avait rapportĂ© avoir trouvĂ© plus de 5 500 virus Ă  ARN non identifiĂ©s auparavant dans les ocĂ©ans du monde. Pour ces travaux, publiĂ©s dĂ©but avril dans la revue Science, les chercheurs avaient analysĂ© 35 000 Ă©chantillons d’eau collectĂ©s Ă  partir de 121 sites dans les cinq ocĂ©ans du monde. Ces Ă©chantillons d’eau regorgeaient de planctons, de petits organismes Ă  la base de la chaĂ®ne alimentaire. Ces derniers servent Ă©galement souvent d’hĂ´tes aux virus Ă  ARN.

Pour identifier la prĂ©sence des agents pathogènes, l’Ă©quipe avait passĂ© au crible tout l’ARN des cellules des planctons pour trouver un extrait spĂ©cifique de code gĂ©nĂ©tique, appelĂ© gène RdRp. Il s’agit d’une sĂ©quence codante commune Ă  tous les virus Ă  ARN. Finalement, les chercheurs avaient identifiĂ© tellement de nouveaux virus Ă  ARN qu’elle avait proposĂ© de doubler le nombre de phylums connus (grandes catĂ©gories taxonomiques) afin de pouvoir tous les classer.

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Un rĂ´le dans le cycle du carbone

Depuis, les chercheurs ont tentĂ© de mieux apprĂ©hender la manière dont ces virus sont distribuĂ©s Ă  travers le monde ocĂ©anique, mais aussi les hĂ´tes qu’ils infectent. Dans le cadre d’une nouvelle Ă©tude publiĂ©e dans la revue Science, ils ont dĂ©terminĂ© que les communautĂ©s virales pouvaient ĂŞtre classĂ©es en quatre zones principales : Arctique, Antarctique, zone Ă©pipĂ©lagique tempĂ©rĂ©e et tropicale (près de la surface), et zone Ă©sopĂ©lagique tempĂ©rĂ©e et tropicale (entre 200 Ă  1 000 mètres). Point intĂ©ressant : la variĂ©tĂ© de virus semblait plus Ă©levĂ©e dans les zones polaires, bien qu’il y ait une plus grande variĂ©tĂ© d’hĂ´tes Ă  infecter dans les eaux plus chaudes.

Pour identifier ces hĂ´tes, l’Ă©quipe a utilisĂ© plusieurs stratĂ©gies de pointe. Ces analyses ont finalement rĂ©vĂ©lĂ© que de nombreux virus Ă  ARN dans l’ocĂ©an infectent les champignons et les protistes. Certains infectent aussi les invertĂ©brĂ©s, tandis qu’une toute petite fraction infecte les bactĂ©ries.

Or, les champignons et les protistes, qui comprennent les algues et les amibes, sont connus pour extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère. De par leurs actions, ces organismes influencent donc la quantitĂ© de carbone qui finit par ĂŞtre stockĂ©e dans l’ocĂ©an.

L’Ă©quipe a en effet dĂ©couvert de manière inattendue que bon nombre de ces des virus portaient des gènes « volĂ©s » de leurs cellules hĂ´tes, perturbant ainsi leur mĂ©tabolisme d’une manière ou d’une autre, probablement afin de maximiser la production de nouvelles particules virales. En infectant ces hĂ´tes, les virus Ă  ARN affecteraient donc Ă©galement la façon dont le carbone circule dans l’ocĂ©an. Cette nouvelle Ă©tude suggère ainsi que l’infection d’organismes marins par des virus Ă  ARN pourrait ĂŞtre un facteur jusque-lĂ  non reconnu Ă  prendre finalement en compte dans les modèles de changement climatique.