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Crédits : fcscafeine/istock

La vie a peut-être vu le jour dans cet environnement bien précis

En 1871, Charles Darwin émettait l’hypothèse selon laquelle la vie sur Terre aurait pu émerger d’un petit étang chaud. Depuis, des chercheurs explorent les conditions favorables à l’origine de la vie, notamment à travers des expériences telles que l’expérience Miller-Urey de 1952. Aujourd’hui, de nouvelles recherches suggèrent que les lacs de soude peu profonds de l’ouest du Canada pourraient fournir des indices cruciaux sur ces conditions primordiales.

Les débuts de l’exploration des origines de la vie

Réalisée en 1952, l’expérience révolutionnaire de Miller-Urey a représenté une avancée majeure dans notre compréhension de l’origine potentielle de la vie sur Terre. Cette expérience visait à déterminer si des molécules organiques, les précurseurs de la vie, pouvaient être générées à partir de molécules inorganiques dans des conditions environnementales similaires à celles de la Terre primitive.

Les résultats de l’expérience ont été étonnants. En reproduisant les conditions atmosphériques et les composants chimiques présumés de la Terre ancienne, Miller et Urey ont réussi à créer des acides aminés, les éléments constitutifs des protéines, ainsi que d’autres molécules organiques essentielles à la vie. Cela a fourni une preuve expérimentale convaincante que les composés organiques nécessaires à la vie pouvaient émerger naturellement à partir de matériaux inorganiques sous l’influence de conditions environnementales spécifiques.

Le problème du phosphate

Malgré cette percée, un défi crucial est rapidement apparu dans la recherche sur l’origine de la vie. Si l’expérience Miller-Urey a démontré la possibilité de créer des molécules organiques, la concentration de phosphate nécessaire à la formation des éléments constitutifs de l’ARN a présenté une difficulté majeure.

Pour rappel, l’ARN (ou acide ribonucléique) est une molécule essentielle à la vie qui agit comme un messager dans le processus de création des protéines. Sa structure repose sur des composants appelés nucléotides qui comprennent le phosphate. Or, reproduire la synthèse de ces nucléotides en laboratoire a nécessité des concentrations de phosphate extraordinaires, de l’ordre de centaines à un million de fois supérieures à celles généralement observées dans les environnements aquatiques naturels.

Cette disproportion entre les niveaux de phosphate utilisés en laboratoire et ceux présents naturellement dans les eaux terrestres a été identifiée comme le « problème du phosphate ». Les scientifiques se sont retrouvés confrontés à la difficulté de justifier comment de telles concentrations élevées de phosphate, nécessaires à la création des éléments fondamentaux de l’ARN, auraient pu être présentes dans les conditions réalistes de la Terre primitive.

Ainsi, bien que l’expérience Miller-Urey ait ouvert la voie à une compréhension plus approfondie des processus chimiques liés à l’origine de la vie, le défi du phosphate a incité les chercheurs à explorer d’autres environnements naturels. Parmi eux figurent les lacs de soude.

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Cette vue panoramique montre le lac Last Chance dans l’ouest du Canada en novembre 2021. Crédits : Kimberly Poppy Sinclair/Université de Washington

Les lacs de soude comme solution au problème du phosphate

Les lacs de soude sont des formations résultant de l’interaction entre l’eau et les roches volcaniques. Ces lacs tirent leur nom des niveaux élevés de sodium dissous et de carbonate qui confèrent à l’eau des propriétés similaires au bicarbonate de soude dissous. Cependant, leur caractéristique la plus fascinante réside dans la présence notable de phosphate dissous. En effet, contrairement à d’autres environnements aquatiques, où le phosphate a tendance à se lier rapidement au calcium pour former du phosphate de calcium, une substance dure que l’on retrouve par exemple dans l’émail dentaire, les lacs de soude présentent une dynamique différente.

Dans ces lacs particuliers, le calcium se lie au carbonate et au magnésium, ce qui forme de la dolomite. Cette particularité empêche le phosphate de former des liaisons avec d’autres composants et maintient sa concentration élevée dans l’eau. Autrement dit, les lacs de soude créent un contexte où le phosphate n’a pas de partenaire de liaison majeur, favorisant ainsi une augmentation de sa concentration. Cette particularité des lacs de soude offre donc une solution au défi majeur rencontré dans la recherche sur l’origine de la vie.

Des lacs de soude étudiés au Canada

Le lac Last Chance, situé en Colombie-Britannique (Canada) se présente comme un exemple potentiel des conditions recherchées par les scientifiques pour comprendre les mécanismes chimiques à l’origine de la vie. Avec une profondeur de seulement 0,3 m, des niveaux élevés de sodium et de carbonate ainsi qu’une atmosphère sèche et venteuse, ce lac offre en effet des caractéristiques qui pourraient répondre aux critères d’un environnement propice au maintien d’une concentration élevée de phosphate.

Notez que tous les lacs de soude ne sont pas identiques. Ils peuvent effectivement présenter des variations significatives dans leur composition chimique en fonction de divers facteurs géographiques et environnementaux. La particularité du lac Last Chance réside dans sa capacité à maintenir ses niveaux très élevés de phosphate dissous.

Dans le cadre de récents travaux, des scientifiques ont entrepris plusieurs visites de cette étendue d’eau à différentes saisons afin de recueillir des données. En étudiant ces conditions naturelles, les chercheurs espèrent ainsi obtenir des informations cruciales sur la manière dont des composés organiques complexes pourraient émerger de matériaux inorganiques dans des environnements similaires à ceux de la Terre primitive. Ces découvertes contribueront in fine à éclairer la recherche sur l’origine de la vie en laboratoire et à identifier des environnements potentiellement habitables sur d’autres planètes.

Les détails de l’étude sont publiés dans Communications Earth & Environment.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.