Et si l’une des clés de la transition énergétique mondiale se trouvait sous nos pieds depuis toujours ? C’est l’hypothèse que renforcent de récentes recherches sur l’hydrogène naturel — un gaz produit en continu par la croûte terrestre et piégé dans ses entrailles depuis des millions, voire des milliards d’années.
Selon une étude publiée le 13 mai dans la revue Nature Reviews Earth and Environment, la quantité d’hydrogène générée par les processus géologiques au cours du dernier milliard d’années serait suffisante pour répondre aux besoins énergétiques actuels de l’humanité pendant 170 000 ans. Reste à savoir où se trouve cet hydrogène, comment il est piégé dans le sous-sol, et s’il peut être exploité à grande échelle.
C’est précisément à ces questions que répond l’étude dirigée par Chris Ballentine, géochimiste à l’Université d’Oxford, en proposant une synthèse ambitieuse des conditions géologiques nécessaires à la formation et à l’accumulation d’hydrogène dans la croûte terrestre.
Un gaz abondant, mais encore largement inexploité
L’hydrogène est aujourd’hui utilisé dans de nombreuses applications industrielles, notamment pour la production d’ammoniac (utilisé dans les engrais) et de méthanol. Il est également présenté comme un vecteur d’énergie propre, capable d’alimenter véhicules, réseaux de chaleur ou centrales électriques. Mais dans l’immense majorité des cas, cet hydrogène est produit à partir d’hydrocarbures, ce qui engendre des émissions de gaz à effet de serre.
L’hydrogène naturel, en revanche, se forme sans intervention humaine, par des réactions géochimiques entre certaines roches et l’eau. Ce processus n’émet pas de carbone et ne requiert aucune énergie externe. Mieux : l’hydrogène produit peut rester piégé dans le sous-sol pendant des milliers d’années, créant ainsi des réservoirs potentiellement exploitables. Ces gisements ont longtemps été considérés comme rares ou anecdotiques. Mais la nouvelle étude suggère au contraire qu’ils pourraient être très répandus, à condition de savoir où et comment chercher.
Les trois conditions clés pour former un gisement
D’après Ballentine et ses collègues, un gisement d’hydrogène naturel repose sur trois éléments fondamentaux : une source de production, un réservoir pour stocker le gaz, et une barrière géologique capable de le retenir.
La production peut résulter d’une douzaine de processus géochimiques, le plus commun étant la réaction de roches riches en fer ou en magnésium avec l’eau. Ce type de réaction libère de l’hydrogène de manière continue dans le sous-sol. Des structures tectoniques actives ou des gradients thermiques importants peuvent ensuite favoriser la migration de ce gaz vers des zones de stockage.
Le réservoir doit présenter une porosité suffisante pour emmagasiner l’hydrogène, tandis que la couche de couverture — souvent composée d’argiles ou de sels — doit empêcher le gaz de s’échapper. Ces critères, bien connus dans l’industrie pétrolière et gazière, peuvent désormais être appliqués à l’hydrogène.

Des régions géologiques prometteuses
Plusieurs types de formations géologiques apparaissent comme particulièrement favorables à l’accumulation d’hydrogène. C’est le cas des complexes ophiolitiques (anciens planchers océaniques remontés à la surface), des provinces ignées (zones de roches volcaniques) ou des ceintures de roches vertes très anciennes, datant parfois de plus de trois milliards d’années.
Aux États-Unis, l’attention se porte notamment sur le Kansas, où une ancienne zone de rift riche en basaltes pourrait héberger des quantités importantes d’hydrogène. En Albanie, un vaste réservoir a récemment été identifié dans un complexe ophiolitique. Ces découvertes suscitent l’intérêt croissant d’acteurs industriels, comme la société Koloma, soutenue par le fonds Breakthrough Energy de Bill Gates, ou encore Hy-Terra et Snowfox, financées respectivement par Fortescue, BP et Rio Tinto.
Un paramètre à ne pas négliger : les bactéries
Cependant, la présence d’hydrogène dans le sous-sol ne garantit pas qu’il soit exploitable. Certaines bactéries souterraines se nourrissent d’hydrogène, ce qui peut entraîner une diminution significative des volumes disponibles. Selon la chercheuse Barbara Sherwood Lollar, co-autrice de l’étude, les environnements favorables à la prolifération de ces micro-organismes ne sont donc pas les plus prometteurs pour la prospection.
Une feuille de route pour l’exploration
En proposant une synthèse claire des mécanismes de formation et d’accumulation d’hydrogène, l’étude fournit une véritable feuille de route aux géologues et aux entreprises du secteur de l’énergie. Elle permet d’orienter les campagnes d’exploration vers les zones les plus susceptibles d’abriter des gisements économiquement exploitables.
Si des incertitudes demeurent — notamment sur la quantité réellement extractible d’hydrogène naturel — les perspectives sont considérables. Une ressource abondante, renouvelée naturellement, propre et déjà stockée sous terre : autant d’atouts qui pourraient faire de l’hydrogène blanc un acteur majeur de la transition énergétique dans les décennies à venir.