Pour la première fois dans l’histoire, des chercheurs ont utilisé la lumière laser pour propulser le noyau d’un atome de thorium à un niveau d’énergie plus élevé. Cette prouesse scientifique ouvre la voie à la création d’une toute nouvelle génération d’horloges d’une précision inégalée qui seraient capables de nous aider à sonder les forces les plus fondamentales de l’univers.
Comment fonctionnent les horloges atomiques ?
Les horloges atomiques, qui sont actuellement les plus précises que nous ayons, reposent sur un principe fascinant de la physique quantique. Elles utilisent des atomes pour mesurer le temps avec une précision extrême.
Imaginez un atome comme un petit système solaire miniature, avec un noyau au centre et des électrons qui tournent autour de celui-ci. Ces électrons peuvent occuper différents niveaux d’énergie, un peu comme les étages d’un immeuble. Lorsqu’un électron reçoit un certain montant d’énergie, il peut « sauter » d’un étage à un autre. C’est ce que nous appelons une transition énergétique.
Maintenant, prenons un laser, un faisceau de lumière concentré. Si nous réglons la fréquence de ce laser pour qu’elle corresponde exactement à l’énergie nécessaire pour provoquer ce saut d’énergie chez un électron donné, quelque chose de très spécial se produit. L’électron absorbe alors l’énergie du laser et saute à un niveau d’énergie supérieur. Mais cet état est instable, alors l’électron redescend rapidement à son état d’origine en émettant un photon ou un petit paquet de lumière.
C’est ce phénomène qui est particulièrement intéressant pour une horloge : la fréquence à laquelle ces photons sont émis est extrêmement précise et constante. Elle dépend directement de la différence d’énergie entre les niveaux électroniques de l’atome. En mesurant cette fréquence, nous pouvons donc avoir une mesure très précise du temps.
Pour simplifier, c’est un peu comme si chaque « tic-tac » de l’horloge était le résultat d’un électron opérant un petit saut énergétique dans l’atome.
La promesse des horloges nucléaires
Cependant, ces horloges atomiques présentent des limites. Les électrons sur lesquels elles reposent se trouvent en effet à l’extérieur des atomes, les rendant vulnérables aux interférences extérieures telles que les champs magnétiques parasites ou d’autres effets environnementaux. Ces perturbations peuvent alors modifier subtilement les niveaux d’énergie des électrons et, par conséquent, altérer la durée de fonctionnement de l’horloge.
C’est là qu’intervient l’horloge nucléaire. Contrairement aux horloges atomiques, elle exploiterait les transitions énergétiques des noyaux à l’intérieur des atomes, les protégeant ainsi des interférences externes.
Cependant, jusqu’à récemment, la difficulté de les exploiter résidait dans le fait que les écarts entre les niveaux d’énergie des noyaux étaient bien plus importants que ceux des électrons, rendant difficile l’utilisation de lasers pour provoquer ces transitions. Ce qui nous ramène à ces travaux. Des physiciens ont récemment utilisé la lumière laser pour propulser le noyau d’un atome de thorium au niveau d’énergie souhaité.
Nouvelle percée
Dans les années 1970, les scientifiques ont fait une découverte fascinante concernant un isotope particulier du thorium, le thorium-229. Ils ont en effet remarqué que cet isotope avait un niveau d’énergie qui semblait être dans la plage que la lumière laser pouvait traverser. En d’autres termes, la lumière laser avait le potentiel de stimuler le thorium-229 à un niveau d’énergie plus élevé.
Cependant, préciser cet écart énergétique spécifique a été un défi majeur. Pour y parvenir, les chercheurs ont dû exciter le thorium-229 à un niveau d’énergie bien supérieur aux deux niveaux d’énergie qui les intéressaient réellement. Ensuite, ils ont mesuré les différences subtiles dans l’énergie de la lumière émise lorsque le thorium-229 retombait vers le niveau d’énergie le plus élevé.
Après des décennies d’efforts et de recherches, les chercheurs ont finalement atteint leur objectif. Ils ont réussi à observer directement un atome de thorium-229 effectuant ce saut entre les niveaux d’énergie, démontrant ainsi un changement d’énergie précis de 8,35574 électrons-volts.
Pour observer directement cet atome de thorium-229, les chercheurs ont utilisé une méthode sophistiquée qui implique de piéger les atomes à l’intérieur de cristaux de fluorure de calcium. En les confinant dans un environnement contrôlé, ils ont alors pu créer les conditions idéales pour observer le saut entre les niveaux d’énergie.
Avant cette avancée, les chercheurs étaient limités par la technologie disponible pour piéger et manipuler les atomes de thorium-229 de manière précise. Les progrès dans les techniques et la manipulation des atomes ont donc été essentiels pour permettre cette observation directe.
Cette avancée représente un bond en avant dans notre capacité à sonder les mystères de l’univers avec une précision sans précédent. Grâce à cette maîtrise des transitions énergétiques du thorium-229, nous nous rapprochons d’une ère où les horloges nucléaires permettront de mesurer le temps avec une exactitude incomparable. Au-delà de la simple mesure du temps, ces instruments révolutionnaires pourraient également éclairer des questions fondamentales sur la nature même de l’univers, nous aidant ainsi à explorer des phénomènes comme l’énergie noire et la matière noire avec une nouvelle finesse scientifique.
Les détails de l’étude sont publiés dans la revue Physical Review Letters.