Dans les terres arides du centre du Mexique, là où personne ne s’attendait à trouver des traces de l’ère glaciaire, une découverte extraordinaire vient de réécrire l’histoire des mammouths. Les analyses ADN de 200 spécimens déterrés lors de la construction d’un aéroport révèlent l’existence d’une lignée génétique totalement inconnue, si distincte que les scientifiques s’interrogent : ne faudrait-il pas baptiser ces géants « mammouths mexicains » ? Cette révélation bouleverse notre vision de ces colosses préhistoriques et prouve qu’ils étaient bien plus diversifiés et répandus qu’on ne l’imaginait.
Un chantier qui devient site archéologique majeur
L’histoire commence banalement en 2019. Des ouvriers creusent les fondations du futur aéroport international Felipe Ángeles, sur l’ancienne base aérienne de Santa Lucía, au nord de Mexico. Soudain, leurs pelles heurtent des structures inhabituelles : des ossements gigantesques, manifestement très anciens. Ce qui devait être un simple chantier de construction se transforme alors en l’une des fouilles paléontologiques les plus importantes du continent américain.
Au fil des mois d’excavation, les archéologues exhument un véritable trésor préhistorique. Pas moins de 200 mammouths colombiens émergent du sol mexicain, accompagnés de dizaines d’autres mammifères disparus. Cette concentration exceptionnelle d’ossements fascine d’autant plus qu’elle défie nos représentations habituelles : ces géants hirsutes ne sont pas censés prospérer sous les climats tropicaux du Mexique central.
L’énigme de l’ADN préservé sous les tropiques
La découverte recèle pourtant un mystère encore plus profond. Dans les régions chaudes, l’ADN se dégrade généralement en quelques millénaires, rendant impossible toute analyse génétique poussée. Pourtant, les spécimens de Santa Lucía présentent un état de conservation remarquable, offrant aux scientifiques une opportunité inespérée d’explorer la génétique de mammouths tropicaux.
Cette préservation exceptionnelle s’explique probablement par des conditions géologiques particulières dans le bassin de Mexico. L’enfouissement rapide et les caractéristiques du sol ont créé un environnement protecteur, permettant à l’information génétique de traverser les millénaires jusqu’à nos laboratoires modernes.
Une révolution génétique qui réécrit l’histoire
L’équipe de l’Université nationale autonome du Mexique s’attelle alors à une analyse génétique d’une ampleur inédite. Quatre-vingt-trois mammouths mexicains voient leur ADN séquencé et comparé à celui de leurs cousins d’Amérique du Nord, ainsi qu’aux mammouths laineux d’Eurasie et des régions arctiques américaines.
Les résultats stupéfient la communauté scientifique. Les mammouths mexicains ne constituent pas une simple variation régionale, mais une lignée génétiquement distincte, séparée de leurs congénères nordiques depuis 307 000 à 416 000 ans. Cette divergence, qualifiée de « profonde » par les chercheurs, suggère une évolution séparée sur des centaines de millénaires, avec très peu de brassage génétique entre les populations.

Vers une nouvelle espèce de mammouth ?
Cette découverte soulève une question fondamentale qui agite désormais les paléobiologistes : ces mammouths mexicains méritent-ils une classification à part entière ? Adrian Lister, expert reconnu du Musée d’histoire naturelle de Londres, n’hésite pas à poser la question provocatrice : « Devrions-nous vraiment l’appeler mammouth colombien, ou lui donner un nouveau nom, celui de mammouth mexicain ? »
La différenciation génétique observée dépasse en effet les seuils habituellement utilisés pour distinguer les sous-espèces, voire les espèces. Si cette hypothèse se confirme, elle enrichirait considérablement notre compréhension de la diversité des proboscidiens préhistoriques et remettrait en cause les classifications établies.
Un puzzle évolutif qui se complexifie
Cette révélation complique également notre compréhension des origines du mammouth colombien. Les hypothèses antérieures suggéraient une hybridation entre mammouths laineux et mammouths des steppes eurasiatiques. Les données mexicaines ajoutent de nouvelles pièces à ce puzzle évolutif complexe.
Deux scénarios émergent des analyses. Le premier propose que les mammouths laineux s’étaient déjà diversifiés génétiquement avant de s’hybrider avec la lignée des mammouths des steppes, transmettant cette diversité à leur descendance colombienne. Le second envisage des hybridations multiples à différentes époques entre diverses populations de mammouths laineux et la même lignée eurasiatique.
L’Amérique préhistorique sous un nouveau jour
Ces découvertes transforment radicalement notre vision de l’Amérique préhistorique. Loin d’être un continent peuplé uniformément par quelques espèces de mammouths, le Nouveau Monde abritait une mosaïque complexe de populations génétiquement distinctes, adaptées à des environnements variés allant des toundras arctiques aux plateaux tropicaux mexicains.
La richesse génétique révélée par cette étude, publiée dans la prestigieuse revue Science, ouvre de nouvelles perspectives de recherche. Elle suggère que d’autres surprises nous attendent peut-être dans les sols d’Amérique latine, où des lignées inconnues pourraient sommeiller, attendant qu’un chantier fortuit les révèle au monde.
