Une étude suggère une interaction étonnante entre l’Atlantique et le Pacifique durant la dernière période glaciaire

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Crédits : JPL/NASA.

Le dernier âge glaciaire a été ponctué par des événements brusques de décharges d’icebergs dans l’océan Atlantique nord en provenance de la calotte Laurentide située en Amérique. Les chercheurs ont suggéré que la perturbation résultante en Atlantique pouvait se propager jusque dans le nord du Pacifique, et y déclencher d’autres événements de débâcle d’icebergs. Si les processus et mécanismes impliqués restaient très discutés jusqu’à présent, une étude révèle un cadre théorique séduisant sur la manière dont les deux bassins ont pu communiquer à cette époque.

Durant la dernière période glaciaire qui s’étend de – 115 000 ans à – 12 000 ans, plusieurs épisodes de décharges massives d’icebergs dans l’Atlantique nord en provenance de l’Amérique ont été documentés. En effet à cette époque, une vaste partie de l’Amérique du Nord était recouverte par des calottes de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur : celle des Laurentides s’étendant du centre à l’est et celle – plus petite – de la Cordillère à l’ouest. Ces épisodes de débâcles d’icebergs et l’eau douce associée ont conduit à un refroidissement généralisé du secteur nord-atlantique ainsi que des continents en périphérie, et sont connus sous le nom d’événements de Heinrich. Ce refroidissement s’explique par le ralentissement de la circulation océanique dans ce bassin (appelée AMOC), diminuant par conséquent le transport de chaleur vers le nord. Il a été supposé que cette modulation a eu des répercussions jusque dans le Pacifique nord, en particulier par une stimulation des rejets d’icebergs de la calotte de la Cordillère qui s’écoule dans cet océan. Il existe en effet des indices qui montrent qu’il y’a eu plusieurs épisodes d’apport en eau douce dans le Pacifique nord-est, situés dans la même fenêtre temporelle que les épisodes de Heinrich. Toutefois, les processus liant les deux bassins sont restés débattus et très évasifs.

Une étude publiée ce 11 juillet dans la revue Nature met en lumière la façon dont les deux océans ont pu communiquer, et offre un cadre conceptuel intéressant qui permet d’emboîter les différentes pièces. En combinant les données paléo-climatiques disponibles et une modélisation numérique de la dernière période glaciaire, l’étude suggère – comme attendu – qu’un affaiblissement de l’AMOC conduit à une augmentation des décharges d’icebergs dans le nord-est du Pacifique associées à la calotte de la Cordillère. Mais par quels mécanismes un événement qui se produit dans le bassin Atlantique étend-il son influence jusque dans le nord du Pacifique ?

Dans la simulation menée par les chercheurs, l’arrivée d’icebergs dans le nord-atlantique réduit l’intensité de l’AMOC et le transport de chaleur associé, induisant le refroidissement évoqué précédemment. Cette diminution du transfert de chaleur vers le nord s’accompagne d’une migration de la zone de convergence intertropicale vers le sud (ZCIT) – la zone d’orages qui ceinture le globe près de l’équateur. Cette migration vers le sud s’associe à une augmentation du contenu en chaleur de l’océan en sub-surface dans le pacifique-est équatorial. Cette dernière induit une diminution des précipitations à l’ouest du Pacifique équatorial qui a pour conséquence de conduire à un renforcement de la dépression des Aléoutiennes – un système dépressionnaire semi-permanent situé près des îles Aléoutiennes aux moyennes latitudes. Le fait que ce système se renforce augmente l’apport en eaux chaudes subtropicales vers la face ouest de l’Amérique du Nord. Ces eaux finiront par augmenter l’instabilité de la calotte de la Cordillère et les décharges d’icebergs et d’eau de fonte enregistrées dans les archives paléo-climatiques. Finalement, cet apport induit un refroidissement de l’océan de surface dans le nord du pacifique, mais à un réchauffement en profondeur, ce qui déstabilise encore plus la calotte !

Le transport de la perturbation depuis le nord-atlantique passe ainsi par la dynamique équatoriale avant d’être réinjecté aux moyennes latitudes dans le Pacifique ! Analysée dans les détails, cette dynamique est assez étonnante, car elle résulte à la fois d’un couplage entre les latitudes extratropicales et équatoriales ainsi qu’entre l’atmosphère, l’océan et la cryosphère. D’aucuns auraient pu penser que le signal se serait perdu en chemin, noyé dans la turbulence et les multiples interactions climatiques, ce qui n’est à l’évidence pas le cas.

Si les différentes pièces du puzzle semblent bien s’emboîter suite à ces travaux, il reste toutefois des zones d’ombre telles que le troisième épisode d’Heinrich où cette communication inter-bassins n’aboutit pas à une instabilité de la calotte ouest-américaine. Une hypothèse serait que celui-ci se produisant pendant une période particulièrement froide, les eaux subtropicales ont eu le temps de se refroidir avant d’atteindre la calotte et d’enclencher une débâcle. Quoi qu’il en soit, il reste encore matière à réflexion, et cette étude permet d’exposer la complexité des interactions pouvant exister dans la machinerie climatique à travers un cas concret.

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