Des milliers d’années avant les cartes et les satellites, nos ancêtres parcouraient le monde à pied, franchissant des continents et des mers. Mais une nouvelle étude suggère qu’ils auraient peut-être emprunté des routes que nous ne voyons plus aujourd’hui… car elles sont sous l’eau.
Des littoraux oubliés sous les mers
Lorsque l’on pense aux grandes migrations humaines, on imagine des traversées de déserts, de montagnes ou de forêts denses. Mais ce que les chercheurs commencent à redécouvrir, c’est que certaines de ces routes aujourd’hui oubliées se situaient là où s’étendent désormais nos océans. En effet, à certaines périodes du passé, notamment lors du Dernier Maximum Glaciaire il y a environ 20 000 ans, le niveau de la mer était jusqu’à 125 mètres plus bas qu’aujourd’hui. Cela signifiait des continents élargis, des détroits transformés en ponts terrestres, et surtout, des littoraux très différents de ceux que nous connaissons.
Des terres englouties, mais jadis habitées
On connaît déjà quelques cités antiques englouties, comme Atlit Yam en Israël ou Thonis-Héracléion au large de l’Égypte. Ces vestiges rappellent que des civilisations florissaient sur des terres qui se trouvent aujourd’hui sous la mer. C’est à partir de ce constat que le géographe Jerome Dobson, de l’Université du Kansas, a forgé le terme « aquaterra », désignant ces anciennes terres émergées aujourd’hui submergées.
Pour Dobson et ses collègues, ces zones ne sont pas de simples curiosités géologiques : elles pourraient être des réservoirs d’informations archéologiques cruciales pour comprendre l’histoire de l’humanité. Car si des hommes y ont vécu, ils y ont aussi migré, chassé, construit… et peut-être laissé des traces.
Reconstituer les littoraux disparus
Pour mieux comprendre ces paysages oubliés, les chercheurs ont eu recours à un modèle complexe d’ajustement isostatique glaciaire (GIA). Contrairement aux approches classiques, qui se contentent de soustraire le niveau marin actuel à l’altitude du terrain, ce modèle tient compte des déformations de la croûte terrestre sous le poids des calottes glaciaires. Cette approche permet de reconstituer avec plus de précision les contours réels des littoraux anciens.
Grâce à ce modèle, les scientifiques ont pu identifier des routes de migration potentielles qui auraient été accessibles plus longtemps qu’on ne le pensait. Parmi elles figurent le passage de Suez, le golfe d’Aqaba, le Bab el-Mandeb (entre l’Érythrée et le Yémen), ou encore les détroits de Sicile et de Messine.

Des migrations oubliées ?
En croisant ces données géologiques avec des indices génétiques et archéologiques, les chercheurs ont mis en lumière des itinéraires de migration alternatifs hors d’Afrique, certains même allant à l’encontre des idées reçues. Par exemple, des mouvements de population du sud vers le nord dans la vallée du Nil, ou d’est en ouest, pourraient avoir eu lieu plus tôt ou différemment qu’on ne le pensait.
Des indices de peuplement, comme des plaques de corail inhabituellement grandes dans la baie de Foul, pourraient constituer des signatures indirectes de présence humaine dans ces zones aujourd’hui submergées. Ces traces, bien qu’encore ténues, invitent à explorer plus systématiquement ces fonds marins.
Vers une archéologie sous-marine de grande ampleur ?
L’ambition des chercheurs est claire : grâce à ces nouvelles cartes, ils espèrent guider les futures expéditions archéologiques vers des zones sous-marines stratégiques, riches en indices sur la manière dont nos ancêtres se sont déplacés et installés. Cela pourrait transformer notre compréhension des migrations préhistoriques, jusque-là reconstituées à partir de sites terrestres parfois incomplets ou mal datés.
« De nombreux paysages sous-marins ont une pertinence archéologique, et cette cartographie donne aux scientifiques une meilleure chance de les trouver », explique Jerome Dobson.
