De la naissance à la mort, une étude retrace la vie d’un mammouth laineux

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Illustration de plusieurs mammouths des steppes. Crédits: Beth/Zaiken/Centre for Palaeogenetics

En analysant l’une de ses défenses, des chercheurs ont récemment été capables de fournir un journal de bord des déplacements d’un mammouth laineux tout au long de ses 28 années de vie. Ces travaux ont été publiés dans la revue Science.

Les mammouths ayant disparu il y a environ 10 000 ans – soit très récemment à l’échelle des temps évolutifs et géologiques – les chercheurs peuvent extraire l’ADN de leurs os pour le séquencer. Ces travaux ont permis de répondre à plusieurs questions générales, telles que la proximité des mammouths d’Alaska avec ceux de Sibérie. Néanmoins, ces informations génétiques nous en disent finalement peu sur la vie de ces anciens pachydermes.

Pour en savoir plus, une équipe de chercheurs s’est récemment concentrée sur les signatures isotopiques de l’une des défenses de Kik, un mammouth laineux mâle dont les restes ont été retrouvés en 2010.

Un vrai journal de bord

Les défenses de ces animaux poussaient en effet par couche. Le bout de la défense pointait le bout de son nez peu après la naissance, tandis que la base représente la fin du chemin. Entre les deux, vous obtenez alors un enregistrement de pratiquement tous les jours de leur vie. « Si vous zoomez avec un microscope », explique Matthew Wooller, de l’Université d’Alaska, « vous pourriez voir des bandes quotidiennes individuelles ».

Les chercheurs se sont principalement concentrés sur le strontium, un élément qui se décline en quatre versions stables, ou isotopes. Chaque jour, Kik mangeait de l’herbe, qui contenait des niveaux de strontium reflétant ceux des roches sous-jacentes. Et ces mêmes niveaux de strontium étaient ensuite intégrés dans la « couche du jour » de ses défenses. Les scientifiques ont également examiné d’autres éléments comme l’oxygène, l’azote et le carbone, qui ont fourni des informations complémentaires sur l’écologie.

Ces travaux ont permis de reconstituer avec assez de fidélité le voyage de ce mammouth à travers l’Alaska, avant sa mort à 28 ans.

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Crédits : JR Ancheta/Université d’Alaska Fairbanks

Une vie plus solitaire vers l’âge de 15 ans ?

Il y a plus de 17 000 ans, Kik aurait ainsi passé la plupart de son temps au centre de l’Alaska, une région connue pour être moins montagneuse. À l’époque, le monde était encore à l’apogée de la dernière période glaciaire, mais les glaciers ne coulaient pas alors sur la majeure partie de ce pays. L’environnement semblait davantage tapissé de prairies sèches et fraîches, peut-être similaires aux steppes mongoles aujourd’hui.

Puis, vers l’âge de 15 ans, ses habitudes de déplacement ont évolué. Kik aurait alors passé beaucoup plus de temps vers le nord, où se trouvent aujourd’hui l’Arctic Wildlife Refuge et la National Petroleum Reserve. Au cours des deux dernières années de sa vie, ses mouvements ont ralenti, se confinant quasi exclusivement dans une zone plus petite au-dessus du cercle polaire arctique.

Vers l’âge de 28 ans, un pic d’isotopes d’azote enregistré suggère que Kik souffrait de famine. Pour les auteurs, c’est probablement la raison de son décès, alors qu’il était encore d’âge mûr. Quant à savoir pourquoi Kik était affamé, les chercheurs ne peuvent que spéculer. Un épisode de sécheresse aurait pu flétrir le paysage, ou peut-être a-t-il été blessé au combat, ce qui aurait limité sa mobilité ?

Ces travaux permettent ainsi de mieux appréhender le comportement de ces animaux. Par exemple, comme certaines espèces d’éléphants modernes où les mâles juvéniles sont expulsés des troupeaux dirigés par des femelles à l’âge de 15 ou 16 ans, Kik aurait visiblement mené une vie plus solitaire au même âge, après avoir grandi au sein du cercle familial.

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Vue d’artiste d’un mammouth laineux mâle adulte il y a 17 100 ans. Crédits : James Havens/The Havens Studio

Encore des interrogations

Enfin, bien que Kik ait parcouru une grande partie de l’Alaska, il semble qu’il ne se soit jamais aventuré vers l’ouest pour traverser le pont terrestre reliant alors l’Alaska à la Russie. Cela pourrait suggérer que la traversée intercontinentale n’était pas un chemin facile. Il convient toutefois de ne pas extrapoler les mouvements de Kik au comportement des mammouths laineux en tant qu’espèce.

À l’avenir, le Dr Wooller et son équipe aimeraient scier et examiner plus de défenses de mammouth. Ces travaux pourraient permettre de répondre à d’autres questions. Ces schémas de déplacement ont-ils évolué au cours des millénaires à mesure que le climat changeait ? Les mammouths femelles et leurs troupeaux fréquentaient-ils différentes parties de l’Alaska ?