Depuis longtemps, les chiens fascinent les humains par leur intelligence et leur fidélité. Mais une nouvelle étude menée par Claudia Fugazza et son équipe à l’Université Eötvös Loránd de Budapest révèle une capacité cognitive insoupçonnée : certains chiens peuvent non seulement retenir le nom de leurs jouets préférés, mais aussi étendre ces « étiquettes » à des objets entièrement nouveaux en fonction de leur fonction, et ce, sans aucun entraînement formel. Cette découverte remet en question notre compréhension de l’intelligence canine et ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont les animaux appréhendent le monde.
Des capacités qui ressemblent à celles des humains
Les chercheurs hongrois ont observé que certains chiens peuvent conceptualiser la fonction des objets, de la même manière qu’un enfant comprend qu’une « tasse » peut désigner un gobelet, un verre ou une chope. Les chiens testés ont été capables de classer leurs jouets en fonction de leur utilité — tirer ou rapporter — même lorsque les objets étaient très différents en apparence. Cette aptitude, appelée « extension d’étiquette », avait jusqu’ici été observée principalement chez des animaux ayant subi un entraînement intensif. Ici, elle apparaît spontanément, simplement grâce au jeu quotidien avec leurs propriétaires.
Cette capacité dépasse la simple mémorisation. Elle révèle une forme de raisonnement abstrait, où les chiens ne se contentent pas d’associer un objet à un mot, mais comprennent la fonction qu’il remplit dans un contexte donné. Pour les chercheurs, c’est une preuve que la cognition canine peut, dans certains cas, se rapprocher de celle des jeunes enfants, capables de catégoriser des objets selon leur usage plutôt que selon leur apparence.
Vision, odorat et biais spatial : le rôle des sens
La manière dont les chiens appréhendent leur environnement joue un rôle crucial dans ces performances. L’équipe de Fugazza a observé que l’acuité visuelle est un facteur déterminant : les chiens ayant une vision plus nette et une tête plus courte présentent moins de biais spatiaux, c’est-à-dire qu’ils se concentrent sur l’objet lui-même plutôt que sur sa position. Cette observation suggère que l’intelligence canine n’est pas seulement liée à la mémoire ou à l’entraînement, mais aussi à la manière dont le cerveau traite l’information sensorielle.
Même si le chien privilégie la vue, l’odorat reste un outil essentiel, surtout dans des conditions de faible luminosité. Les chiens mémorisent l’apparence et l’odeur de leurs jouets, créant ainsi ce que les chercheurs appellent une « image mentale à plusieurs étages ». Cette combinaison de plusieurs sens permet aux chiens de reconnaître des objets jamais rencontrés auparavant et d’appliquer les étiquettes apprises à des situations nouvelles, démontrant une flexibilité cognitive impressionnante.
L’apprentissage spontané par le jeu
La découverte la plus surprenante est que cette capacité n’exige aucun entraînement formel. Dans l’expérience de 2022, sept chiens « doués pour l’apprentissage des mots » (GWL) ont été observés jouer avec de nouveaux jouets pendant une semaine, simplement en interagissant naturellement avec leurs propriétaires. Les chiens ont appris à distinguer les jouets selon leur fonction — tirer ou rapporter — même lorsque ces objets étaient totalement nouveaux et que les noms n’avaient pas été répétés.
Statistiquement, les chiens ont choisi correctement les jouets fonctionnels bien plus souvent que ce que le hasard aurait permis. Cette performance révèle que l’apprentissage chez les chiens peut se produire de manière naturelle et intuitive, par l’expérience et l’interaction sociale, sans répétitions ou consignes formelles. Ces résultats montrent que les chiens ne se contentent pas de réagir à des commandes, mais construisent une représentation mentale sophistiquée des objets et de leur usage, renforçant l’idée que leur intelligence va bien au-delà de ce que l’on observe habituellement dans les tests classiques de mémorisation.
Une intelligence canine à redécouvrir
Ces recherches ouvrent de nouvelles perspectives sur la cognition animale et sur la manière dont les chiens perçoivent et interagissent avec leur environnement. La capacité à généraliser la fonction d’un objet à un autre suggère que les chiens possèdent une forme d’abstraction cognitive, qui pourrait être plus développée que ce que l’on imaginait.
Comprendre ces mécanismes peut non seulement améliorer notre connaissance des animaux domestiques, mais aussi inspirer des applications pratiques, de l’éducation canine à l’assistance aux personnes ou au sauvetage. Plus largement, cette étude nous rappelle que l’intelligence ne se limite pas aux humains et que, dans certains cas, nos compagnons à quatre pattes peuvent nous surprendre par leur compréhension subtile du monde.
