Le rapport annuel du Programme des Nations unies pour l’environnement vient de tomber avec une révélation que personne ne souhaite entendre : quand bien même l’intégralité des engagements climatiques seraient honorés à la lettre, l’objectif phare de l’accord de Paris sera pulvérisé avant 2035. Cette projection n’émane pas de militants écologistes alarmistes, mais d’une analyse rigoureuse menée par des dizaines de scientifiques mandatés par l’ONU. Les chiffres sont sans appel et redessinent brutalement notre avenir climatique.
Une amélioration en trompe-l’œil
À première lecture, le rapport du PNUE publié mardi semble apporter quelques motifs d’espoir. Si tous les plans climatiques nationaux sont pleinement appliqués, le réchauffement atteindrait entre 2,3 et 2,5 degrés d’ici la fin du siècle. Comparé aux 2,6 à 2,8 degrés annoncés dans le rapport précédent, cela ressemble à une victoire.
Sauf que cette apparente amélioration relève largement du mirage statistique. Les scientifiques ont affiné leurs méthodes de calcul, ce qui représente à lui seul 0,1 degré de baisse sur les 0,3 affichés. Les véritables progrès politiques ne comptent que pour 0,2 degré de réduction. Pire encore, le retrait imminent des États-Unis de l’accord de Paris effacera mécaniquement 0,1 degré supplémentaire de ces maigres avancées.
Les politiques réellement mises en œuvre aujourd’hui, par opposition aux simples promesses, nous dirigent vers 2,8 degrés de réchauffement. Le fossé entre discours et action reste abyssal.
2024, année de tous les records négatifs
L’année écoulée marque un tournant particulièrement sombre. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont atteint 57,7 gigatonnes équivalent CO₂, établissant un nouveau record absolu. Cette hausse de 2,3% par rapport à 2023 représente plus de quatre fois le taux de croissance annuel moyen constaté durant les années 2010.
Le plus préoccupant reste la répartition sectorielle de cette explosion. La déforestation et le changement d’affectation des terres ont généré à eux seuls 53% de l’augmentation totale. Les incendies de forêt de grande ampleur, combinés aux conditions climatiques exacerbées par El Niño, ont transformé d’immenses étendues forestières en sources massives d’émissions plutôt qu’en précieux puits de carbone.
Sur le plan géographique, la Chine et l’Inde enregistrent les hausses absolues les plus importantes, tandis que l’Indonésie détient le triste record de la croissance relative la plus rapide.

Un écart vertigineux entre besoin et réalité
Les mathématiques climatiques sont impitoyables. Pour maintenir le réchauffement à 2 degrés, il faudrait réduire les émissions de 35% d’ici 2035 par rapport aux niveaux de 2019. Pour préserver l’objectif de 1,5 degré, cette réduction devrait atteindre 55%.
Or, la mise en œuvre complète de tous les plans climatiques actualisés ne permettrait qu’une baisse de 12 à 15%. Le compte n’y est tout simplement pas. Seuls soixante pays représentant 63% des émissions mondiales ont respecté l’échéance du 30 septembre pour actualiser leurs stratégies nationales. Les autres promesses tomberont au compte-gouttes d’ici la COP30 qui débute le 10 novembre au Brésil.
Plus inquiétant encore, ces plans climatiques évitent soigneusement de s’attaquer frontalement au cœur du problème. Seulement 62% d’entre eux prévoient de réduire l’usage des combustibles fossiles dans le mix énergétique national. Pourtant, charbon, pétrole et gaz demeurent les principaux responsables du dérèglement climatique.
Le dépassement devient inévitable
Les scientifiques du PNUE adoptent désormais un langage inhabituellement direct : le franchissement du seuil de 1,5 degré va se produire, probablement au cours de la prochaine décennie. Revenir ensuite en deçà de ce niveau sera extrêmement difficile, voire impossible selon certains scénarios.
Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, reformule l’enjeu avec pragmatisme : il faut désormais faire en sorte que ce dépassement soit aussi faible et aussi bref que possible. Cela nécessitera non seulement des réductions drastiques d’émissions, mais également le retrait du CO₂ déjà présent dans l’atmosphère grâce aux forêts et à des technologies de captage encore très coûteuses.
Inger Andersen, directrice du PNUE, maintient malgré tout un discours volontariste : les solutions existent déjà, des énergies renouvelables bon marché à la réduction des émissions de méthane. Dans le scénario le plus optimiste où tous les pays respecteraient leurs promesses de neutralité carbone d’ici 2050, le réchauffement pourrait être contenu à 1,9 degré.
Reste que cet optimisme repose sur une hypothèse de plus en plus fragile : que les engagements soient enfin suivis d’effets.
