ordinateur quantique
Ordinateur quantique IQM en fonctionnement installé à Espoo, en Finlande. Crédits : Ragsxl

Un puce qui change tout : comment des chercheurs ont franchi un pas décisif vers l’ordinateur quantique grand public

L’informatique quantique, longtemps cantonnée aux laboratoires et aux démonstrations théoriques, se rapproche chaque jour un peu plus de nos usages quotidiens. Une avancée récente, réalisée par une équipe de chercheurs de l’Université de Sydney, pourrait bien marquer un tournant majeur dans cette course technologique. Ils ont en effet conçu une puce électronique capable de fonctionner à seulement quelques millièmes de degré au-dessus du zéro absolu, au plus proche des qubits, ces briques élémentaires de l’ordinateur quantique. Cette prouesse ouvre la voie à la fabrication d’ordinateurs quantiques beaucoup plus stables, accessibles et économes en énergie.

Les défis de l’ordinateur quantique à grande échelle

Pour comprendre l’importance de cette innovation, il faut d’abord saisir les enjeux qui se cachent derrière la construction d’un ordinateur quantique fonctionnel. Contrairement aux ordinateurs classiques qui utilisent des bits binaires (0 ou 1), les ordinateurs quantiques reposent sur des qubits. Ces derniers exploitent les propriétés étranges de la physique quantique, comme la superposition et l’intrication, pour effectuer des calculs complexes à une vitesse inimaginable pour les machines classiques.

Mais les qubits sont fragiles. Ils doivent être maintenus à des températures extrêmement basses (proches du zéro absolu, soit -273,15 °C) pour éviter que leur état quantique ne soit détruit par des perturbations extérieures. Jusqu’à présent, cela impliquait que les dispositifs de contrôle des qubits soient situés loin d’eux, à température ambiante, ce qui complexifie l’architecture globale et limite la scalabilité (capacité à augmenter le nombre de qubits).

Une puce de contrôle cryogénique, la clé pour un saut technologique

L’équipe dirigée par le professeur David Reilly a relevé ce défi en développant une puce de contrôle électronique qui peut fonctionner directement aux côtés des qubits, dans les mêmes conditions cryogéniques. Fabriquée avec la technologie CMOS standard (celle utilisée pour la majorité des puces électroniques), cette puce contrôle les qubits de spin — qui stockent l’information dans l’orientation magnétique des électrons.

Ce qui est révolutionnaire, c’est que cette puce fonctionne à seulement quelques millikelvins, sans dégrader la qualité ni la stabilité des qubits. Les tests ont montré une perte de fidélité négligeable et aucun raccourcissement du temps de cohérence des qubits, ce qui signifie que les opérations quantiques peuvent être réalisées avec précision et stabilité malgré la proximité des composants électroniques.

puce quantique ordinateur quantique
Plateforme de contrôle quantique cryogénique développée par des scientifiques de l’Université de Sydney, dirigés par le professeur David Reilly. Crédit : Fiona Wolf/Université de Sydney

Pourquoi est-ce important ?

Cette avancée est cruciale pour plusieurs raisons. D’abord, la consommation énergétique de cette puce est extrêmement faible : environ 10 microwatts au total, avec seulement 20 nanowatts par mégahertz sur les composants analogiques. Cela signifie que l’on peut envisager de contrôler des millions de qubits sans augmentation significative de la consommation d’énergie, un élément clé pour construire des ordinateurs quantiques à grande échelle.

Ensuite, l’intégration directe du contrôle cryogénique élimine le besoin de câblage complexe et encombrant entre les qubits et les systèmes de contrôle situés à température ambiante, simplifiant considérablement la conception matérielle et améliorant la fiabilité globale.

Le Dr Kushal Das, concepteur de la puce, souligne que cette percée ne s’est pas faite du jour au lendemain : « concevoir une électronique cryogénique à faible bruit et faible consommation demande des années de savoir-faire ». Leur succès montre qu’avec une conception minutieuse, les transistors qui commutent sur la puce sont presque imperceptibles pour les qubits sensibles.

Vers des ordinateurs quantiques viables et abordables

Cette innovation ne reste pas confinée aux laboratoires. Le professeur Reilly et son collègue Dr Thomas Ohki ont cofondé une entreprise, Emergence Quantum, qui vise à commercialiser cette technologie de contrôle cryogénique. Leur objectif est de rendre la technologie quantique accessible aux fabricants de matériel quantique du monde entier.

Le professeur Andrew Dzurak, PDG de Diraq, souligne que ce développement est un pas décisif pour intégrer les qubits en silicium à l’électronique classique dans un seul boîtier compact, permettant ainsi des machines quantiques plus abordables et économes en énergie.

Sydney au cœur de la révolution quantique

Cette percée, rapportée dans la revue Nature, conforte également la place de Sydney comme un pôle international dans la recherche et le développement de l’informatique quantique. Avec des équipes universitaires et commerciales travaillant en synergie, la ville australienne est en train de s’imposer comme un acteur majeur dans la course pour la réalisation d’ordinateurs quantiques fonctionnels et commercialement viables.

Ce qu’il faut retenir

Le développement de cette puce cryogénique représente une étape capitale dans la quête d’ordinateurs quantiques puissants et utilisables. En rapprochant les systèmes de contrôle des qubits et en réduisant la consommation énergétique, cette technologie ouvre la porte à une nouvelle génération d’ordinateurs capables de résoudre des problèmes complexes dans la chimie, la cryptographie, l’optimisation et bien d’autres domaines.

À mesure que les chercheurs affinent cette technologie et que des entreprises comme Emergence Quantum la commercialisent, l’ère de l’ordinateur quantique grand public se rapproche. Ce qui n’était encore il y a quelques années qu’un rêve de laboratoire devient une réalité tangible, promettant de transformer profondément notre manière de calculer, de comprendre le monde, et d’inventer le futur.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.