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Crédits : Projet régional Sirwan

L’un des premiers gouvernement est-il tombé il y a 5 000 ans ?

L’Histoire est une énigme ponctuée de découvertes fascinantes où des objets ordinaires révèlent parfois des vérités extraordinaires sur les civilisations anciennes. À Shakhi Kora, un site archéologique niché dans le nord de l’Irak, des bols en argile modestes en apparence pourraient être les témoins d’une des premières expériences d’autorité centralisée. Ces vestiges, récemment mis au jour, jettent une lumière nouvelle sur l’organisation sociale de l’époque et sur la manière dont les communautés ont pu accepter, puis rejeter les prémices d’un système de gouvernement.

La Mésopotamie : le berceau de la civilisation

Pour comprendre l’importance de cette découverte, il est essentiel de situer son contexte historique. La Mésopotamie, souvent qualifiée de berceau de la civilisation, est une région historique située entre le Tigre et l’Euphrate. C’est là, au cours du quatrième millénaire avant J.-C., que sont apparues certaines des plus grandes innovations de l’humanité : l’écriture, les premières villes et une gestion organisée des ressources.

Pendant la période d’Uruk (4000-3100 avant J.-C.), les premières cités-États ont notamment émergé dans le sud de l’actuel Irak. Ces villes étaient caractérisées par une hiérarchie sociale stricte et des innovations telles que le commerce à grande échelle et des systèmes de comptabilité primitive. Les innovations d’Uruk se sont progressivement étendues à d’autres régions voisines, transformant au passage des communautés locales en sociétés plus complexes. C’est dans ce contexte qu’un village, aujourd’hui connu sous le nom de Shakhi Kora, s’est développé avant d’être mystérieusement abandonné.

Les fouilles de Shakhi Kora : des bols pour rémunérer le travail

Les fouilles à Shakhi Kora, menées depuis 2019 par une équipe internationale dirigée par Claudia Glatz de l’Université de Glasgow, ont mis au jour des vestiges fascinants d’une colonie qui date du cinquième millénaire avant J.-C. Parmi les trouvailles les plus significatives figurent des bols en poterie à bord biseauté. Ces objets simples, mais omniprésents, jouent un rôle central dans l’interprétation de la vie sociale et économique de l’époque.

Selon les chercheurs, ces bols servaient probablement à distribuer de la nourriture, comme de la viande ou des ragoûts, en échange de travail. Ce système de redistribution de nourriture est considéré comme une forme primitive d’autorité centralisée où des individus étaient rémunérés non pas en argent, mais en repas. Les analyses des résidus à l’intérieur des bols ont révélé des traces de viande, ce qui suggère que des troupeaux de moutons et de chèvres étaient élevés à proximité pour alimenter ce système.

Ces pratiques montrent que Shakhi Kora n’était pas qu’un simple village agricole. Les structures découvertes sur place, notamment des bâtiments dotés de piliers et de systèmes de drainage sophistiqués, témoignent en effet d’une organisation influencée par les traditions plus avancées d’Uruk. Cela suggère que ce site faisait partie d’un réseau plus vaste intégré à l’expansion des modèles urbains et administratifs mésopotamiens.

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Crédits : Projet régional Sirwan

Un mystère : pourquoi Shakhi Kora a-t-il été abandonné ?

Malgré son apparent succès, Shakhi Kora a été abandonné à la fin du quatrième millénaire avant J.-C. Surprenamment, les fouilles n’ont révélé aucun signe de violence, de conflit ou de catastrophe naturelle. Ce silence archéologique laisse donc la place à plusieurs hypothèses intrigantes. Selon Claudia Glatz et son équipe, l’abandon de Shakhi Kora pourrait refléter un rejet volontaire de l’autorité centralisée. Les communautés locales auraient peut-être choisi de revenir à un mode de vie plus autonome basé sur des fermes familiales plutôt que sur une structure hiérarchique imposée.

Cela remet en question une idée souvent acceptée : celle selon laquelle les formes de gouvernement centralisé sont une étape inévitable du développement des sociétés complexes. À Shakhi Kora, la population semble avoir résisté à cette centralisation et préféré ses traditions locales à un système hiérarchique importé. Cependant, d’autres chercheurs soulignent que la taille limitée des fouilles rend difficile toute conclusion définitive.

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Crédits : Claudia Glatz et coll. ; Antiquity Publications Ltd

Ce que les bols nous apprennent sur l’Histoire et notre présent

La découverte des bols de Shakhi Kora ne se limite pas à des considérations archéologiques. Elle soulève aussi des questions profondes sur les dynamiques sociales et politiques des premières civilisations humaines. Pourquoi certaines communautés acceptent-elles une centralisation du pouvoir, tandis que d’autres la rejettent ? Ces interrogations sont toujours d’actualité dans un monde où les formes d’autorité et de gouvernance évoluent constamment.

De plus, ces bols montrent que l’innovation et l’organisation économique ne sont pas toujours synonymes de progrès durable. Même les sociétés les plus avancées peuvent être fragiles si elles ne répondent pas aux besoins ou aux aspirations de leurs populations. À Shakhi Kora, le rejet de l’autorité pourrait être vu comme un rappel que la stabilité sociale repose autant sur l’adhésion volontaire que sur les structures imposées.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.