Une équipe de l’Université de Nottingham vient de révéler une découverte majeure : la preuve expérimentale de l’existence d’une troisième classe de magnétisme appelée altermagnétisme. Cette avancée pourrait révolutionner la conception des dispositifs de mémoire magnétique et combler un chaînon manquant dans la recherche sur la supraconductivité.
Les bases du magnétisme : deux familles bien connues
Avant de plonger dans cette nouvelle forme de magnétisme qu’est l’altermagnétisme, il est essentiel de comprendre les deux principales classes de magnétisme déjà bien établies : le ferromagnétisme et l’antiferromagnétisme. Ils constituent les fondations des technologies magnétiques modernes et possèdent des propriétés uniques.
Le ferromagnétisme est probablement le plus familier : il donne leurs propriétés aux aimants classiques que nous utilisons au quotidien. Dans un matériau ferromagnétique, les moments magnétiques, que l’on peut imaginer comme de minuscules flèches de boussole à l’échelle atomique, s’alignent tous dans la même direction. Cette configuration crée un champ magnétique net, ce qui permet de stocker et de lire facilement des informations magnétiques. Cependant, cette simplicité a un revers : les matériaux ferromagnétiques sont très sensibles aux perturbations extérieures. Un simple contact avec un autre aimant ou une variation de champ magnétique peut altérer ou effacer les données stockées.
L’antiferromagnétisme offre en revanche une structure bien plus ordonnée et stable. Dans ce cas, les moments magnétiques des atomes voisins pointent dans des directions opposées, formant alors un motif alterné similaire à un échiquier. Cette absence de magnétisme net rend les matériaux antiferromagnétiques beaucoup plus résistants aux perturbations extérieures, ce qui les rend idéaux pour certaines applications où la stabilité est cruciale. Cependant, leur manipulation reste complexe. À cause de leur structure équilibrée, ils sont bien moins adaptés au stockage ou au transport rapide d’informations.
Ces deux classes ont ouvert la voie à d’innombrables innovations, des disques durs aux capteurs utilisés en physique fondamentale. Pourtant, leurs limitations ont poussé les scientifiques à explorer de nouvelles voies. C’est dans ce contexte que l’altermagnétisme émerge en combinant les forces des deux modèles tout en évitant leurs faiblesses.
L’altermagnétisme : un hybride aux propriétés uniques
Théorisés pour la première fois en 2022, les matériaux altermagnétiques combinent des éléments des deux classes précédentes. Dans un matériau altermagnétique, les moments magnétiques voisins pointent également dans des directions opposées, mais avec une légère torsion. Cette structure crée une combinaison unique de propriétés : la vitesse et la résilience des antiferromagnétiques associées à certaines caractéristiques essentielles des ferromagnétiques, comme la rupture de symétrie par inversion temporelle.
La rupture de symétrie temporelle, un concept issu de la physique quantique, décrit le comportement différent d’un système lorsqu’il avance ou recule dans le temps. Par exemple, les électrons dans un matériau altermagnétique possèdent un spin et un moment magnétique qui changent d’orientation lorsqu’on inverse le temps, ce qui rompt la symétrie. Cette propriété ouvre la voie à des phénomènes électriques nouveaux, essentiels pour les technologies avancées comme la spintronique.
La preuve expérimentale : un tour de force scientifique
Pour démontrer l’existence de l’, les chercheurs ont étudié le tellurure de manganèse, un matériau auparavant classé comme antiferromagnétique. Grâce à une technique avancée appelée microscopie électronique à photoémission, ils ont pu imager la structure et les propriétés magnétiques du matériau.
Cette méthode consiste à utiliser des rayons X polarisés pour analyser les différents domaines magnétiques du matériau. Les rayons X circulairement polarisés ont permis de détecter les domaines magnétiques créés par la rupture de symétrie temporelle tandis que les rayons X polarisés horizontalement ou verticalement ont fourni des informations sur l’orientation des moments magnétiques. En combinant ces données, l’équipe a établi la toute première carte des structures magnétiques dans un matériau altermagnétique.
Pour aller plus loin, les chercheurs ont manipulé les structures magnétiques internes à l’aide d’une technique de cyclage thermique contrôlé. Cette manipulation leur a permis de créer des dispositifs altermagnétiques pratiques, tels que des vortex magnétiques, qui pourraient servir de vecteurs d’information dans les technologies de la spintronique.

Les applications potentielles : une révolution en vue
Les applications potentielles de l’altermagnétisme promettent de révolutionner de nombreux domaines technologiques. Dans le domaine de la mémoire magnétique, ces nouveaux matériaux pourraient combiner les avantages des antiferromagnétiques, comme leur rapidité et leur fiabilité, avec la facilité d’utilisation des ferromagnétiques. Cela ouvrirait la voie à des dispositifs de mémoire plus rapides, plus durables et moins sensibles aux perturbations extérieures.
En spintronique, un champ d’innovation croissant, l’altermagnétisme offre également des opportunités uniques. Les vortex magnétiques qu’il génère pourraient être exploités pour concevoir des dispositifs capables de transporter des informations à des vitesses très élevées tout en minimisant les pertes d’énergie, une avancée cruciale pour améliorer l’efficacité énergétique des technologies modernes.
Par ailleurs, l’altermagnétisme pourrait jouer un rôle clé dans le développement de nouveaux matériaux supraconducteurs. En comblant un chaînon manquant dans les symétries fondamentales des matériaux magnétiques et supraconducteurs, il pourrait permettre la conception de matériaux encore plus performants, ce qui ouvre la voie à des avancées majeures dans des domaines tels que l’informatique quantique ou les réseaux électriques.
Quels défis à relever ?
Malgré ces perspectives prometteuses, des défis considérables subsistent. La création et la stabilisation des structures magnétiques propres à l’altermagnétisme nécessitent des manipulations complexes qui constituent un frein majeur à son exploitation pratique. De plus, l’optimisation des propriétés électriques et magnétiques pour des applications concrètes reste un chantier de longue haleine qui pourrait prendre des années.
Cependant, loin de décourager les chercheurs, ces défis offrent autant d’opportunités d’innovation. L’exploration de cette troisième classe de magnétisme ne fait que commencer, et les scientifiques sont convaincus qu’elle marquera un tournant dans l’histoire des matériaux et des technologies.