drogues psychédéliques
Crédits : yamonstro/istock

Trip sous contrôle : les drogues du futur seront programmables (et personnalisées à la molécule près)

Et si l’on pouvait programmer un trip ? Une startup veut transformer les psychédéliques en outils précis et personnalisables.

Objectif : des psychédéliques prévisibles et personnalisés

Les psychédéliques sont de retour sur la scène scientifique. Psilocybine, LSD, MDMA ou DMT sont aujourd’hui étudiés pour traiter des troubles comme la dépression, le PTSD ou l’anxiété existentielle. Mais malgré leur potentiel thérapeutique, ces substances ont un point faible : leur imprévisibilité. Deux prises identiques peuvent produire des effets radicalement différents, selon l’humeur du sujet, son environnement, ou d’autres facteurs biologiques.

Mindstate Design Labs, soutenue par Y Combinator, s’est lancée un défi : rendre ces voyages précis, reproductibles, et programmables.

Comment ? En utilisant un modèle d’intelligence artificielle baptisé Osmanthus, entraîné sur des milliers de rapports de trips et de données pharmacologiques. Ce modèle ne cherche pas seulement à prédire ce que vous allez vivre sous psychédéliques — il ambitionne de concevoir de nouveaux états de conscience sur mesure.

Le « tofu psychédélique » au cœur du projet

Le premier candidat de Mindstate pour ces expériences calibrées est une molécule peu connue : le moxy, ou 5-MeO-MiPT. Synthétisé en 1985 par le célèbre chimiste Sasha Shulgin, ce composé combine les effets doux et empathiques de la MDMA avec certains aspects des psychédéliques classiques.

Ce qui le rend spécial ? Son profil pharmacologique simple. Il cible principalement le récepteur 5HT2A (le même que le LSD ou la psilocybine), sans la complexité d’autres drogues comme la DMT. Le moxy est en quelque sorte un « tofu psychédélique » : fade seul, mais capable d’absorber les caractéristiques d’autres substances quand il est combiné avec elles.

C’est cette modularité qui séduit l’équipe de Mindstate : le moxy pourrait devenir la base neutre sur laquelle composer toute une palette d’expériences mentales. Euphorie ? Clarté cognitive ? Introspection profonde ? À terme, chaque combinaison pourrait produire un effet spécifique, comme une recette chimique pour l’esprit.

Osmanthus, la machine à décoder les trips

Pour bâtir cette bibliothèque d’états mentaux, Mindstate s’appuie sur Osmanthus, un modèle de langage géant formé à lire et analyser des récits subjectifs d’expériences psychédéliques — sur Reddit, dans les ouvrages de Shulgin, ou dans des revues scientifiques.

Ce modèle associe deux types de données :

  • Les effets subjectifs, décrits par les utilisateurs ;

  • Les données pharmacologiques, issues de tests de liaison aux récepteurs.

En croisant ces informations, Osmanthus tente de cartographier la relation entre la biologie d’un composé et l’expérience vécue. Résultat : une sorte de catalogue des effets mentaux, où chaque sensation (perte d’ego, visualisations géométriques, sentiment d’unité, etc.) est liée aux zones du cerveau et aux molécules impliquées.

L’objectif n’est pas seulement de comprendre le passé, mais de concevoir l’avenir : créer de nouveaux cocktails psychédéliques aux effets inédits, adaptés à des besoins spécifiques — qu’ils soient thérapeutiques ou exploratoires.

Entre science, spiritualité et interface cerveau-ordinateur

Derrière ce projet fou, on trouve Dillan DiNardo, un ancien financier reconverti dans la biotech, marqué personnellement par les états modifiés de conscience. Diagnostiqué avec un PTSD et une dépression sévère, il s’est tourné vers la thérapie psychédélique — pas pour le folklore du trip, mais pour son potentiel de transformation profonde.

Sa rencontre avec Tom Ray, biologiste évolutionniste et ancien collaborateur de Shulgin, a donné naissance à l’ambition de Mindstate : déchiffrer les lois internes de la conscience comme on déchiffre un génome. Ensemble, ils veulent explorer un territoire où neurosciences, intelligence artificielle et traditions psychonautes se rencontrent.

À terme, DiNardo imagine même connecter ces drogues calibrées à des interfaces cerveau-ordinateur (BCI). De la santé mentale à la méditation augmentée, en passant par l’apprentissage, il s’agit de construire des outils pour l’exploration consciente, dans une logique de médecine de précision.

IA, langage et les limites du descriptible

Mais comment décrire ce qui dépasse les mots ? Une difficulté majeure dans l’analyse des expériences psychédéliques, c’est justement leur ineffabilité. Le langage humain peine déjà à rendre compte de nos états d’âme quotidiens — alors comment parler d’une fusion avec l’univers ou d’une sensation de mort de l’ego ?

Pour surmonter cet obstacle, Mindstate a développé une ontologie détaillée des effets subjectifs, construite avec l’aide d’experts et de psychonautes chevronnés. Cette base est utilisée pour entraîner l’IA, mais l’humain reste toujours dans la boucle, insiste DiNardo. Car les modèles linguistiques ne peuvent pas tout — ils hallucinent aussi, parfois autant que les drogues.

Une révolution thérapeutique (ou une boîte de Pandore) ?

Reste une question fondamentale : peut-on designer un état de conscience comme on programme une app ? Et surtout, est-ce souhaitable ?

Les chercheurs ne savent toujours pas précisément comment les psychédéliques agissent en profondeur sur les troubles mentaux. Est-ce la neuroplasticité ? L’ouverture émotionnelle ? Le reset des circuits cognitifs ? Probablement un peu de tout. DiNardo ne cherche pas à isoler un seul mécanisme : il s’intéresse aux correspondances entre les niveaux — moléculaire, cérébral, subjectif.

Pour l’instant, Mindstate en est au tout début : son essai clinique de phase 1 sur le moxy vient tout juste d’être approuvé aux Pays-Bas. Objectif : évaluer son innocuité, son comportement dans l’organisme, et les premières impressions des participants.

Mais si l’expérience est concluante, alors commencera la vraie révolution : tester des cocktails de molécules conçus pour reproduire ou inventer des expériences mentales précises. Une nouvelle ère pourrait s’ouvrir, où la conscience elle-même devient un espace programmable.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.