L’une des reliques les plus reconnaissables de l’Égypte ancienne est le célèbre masque funéraire bleu et or de Toutânkhamon. On a longtemps pensé qu’il appartenait bel et bien au jeune roi, mais de nouvelles recherches affirment que ce masque emblématique n’avait peut-être pas été fabriqué initialement pour lui. Dirigée par Joann Fletcher, égyptologue et professeure honoraire invitée au Département d’archéologie de l’Université de York, l’équipe réaffirme une théorie déjà évoquée par le passé indiquant que des caractéristiques distinctives du masque prouvent qu’il était destiné à une femme de haut rang, peut-être la belle-mère du roi.
Toutânkhamon : une vie courte jalonnée de souffrance
Toutânkhamon est l’un des pharaons les plus connus de son époque. Il accéda au pouvoir alors qu’il n’avait que neuf ans et ne régna que pendant dix ans (de 1332 av. J.-C. à 1323 av. J.-C.) avant sa mort, vraisemblablement causée par divers problèmes de santé. On pense en effet qu’il a souffert de plusieurs affections tout au long de sa vie, notamment un palais fendu, un pied bot, une maladie osseuse et une scoliose, probablement en raison de la consanguinité entre ses parents.
Son tombeau somptueux fut découvert en 1922 par l’archéologue britannique Howard Carter. Cette découverte a alors captivé les chercheurs et le public en raison des trésors inestimables qu’il contenait, y compris son masque funéraire en or, l’un des exemples les plus sophistiqués de l’artisanat ancien, désormais exposé au Musée égyptien du Caire. Ce masque est en or, orné de pierres semi-précieuses et doté de détails colorés ainsi que d’une fausse barbe en or massif. Toutefois, en examinant les archives funéraires de Carter, conservées à l’Institut Griffith de l’Université d’Oxford, l’égyptologue Fletcher a redécouvert un détail crucial concernant le masque, négligé par les experts depuis 102 ans.
Des détails qui ne concordent pas
Un document historique de la fouille de 1922 mentionnait des informations sur des modifications qui ne concordaient pas avec la tradition égyptienne ancienne, ce qui a éveillé les soupçons de l’équipe de recherche. Howard Carter avait effectivement remarqué que le masque funéraire avait des oreilles percées, un détail inhabituel pour les pharaons masculins, mais il n’avait pas cherché d’explication. Et s’ils portaient certes des boucles d’oreilles, ces piercings n’étaient ensuite pas transférés sur leurs masques funéraires. Seuls les masques des enfants et des reines en portaient. Selon le professeur Fletcher, il est très probable que Toutânkhamon ait porté des boucles d’oreilles dans son enfance, mais pas à l’âge adulte.
« Ce masque n’a pas été fabriqué pour un pharaon adulte », affirme ainsi le professeur Fletcher. « Lorsque l’or a été comparé, [ils ont constaté] que le visage est fait d’un or complètement différent du reste. » La présence de trous pour boucles d’oreilles sur le masque suggère qu’il a pu être préparé à l’origine pour quelqu’un d’autre que Toutankhamon. L’expert ajoute que « des traces de soudure sont clairement visibles sur le masque. Il semble désormais que le visage de Toutânkhamon ait été effectivement greffé sur le masque d’un dirigeant précédent. Il ou elle aurait pu avoir les oreilles percées, il est possible qu’il s’agisse d’une femme, peut-être même de Néfertiti ».
Une théorie qui n’est pas nouvelle
Cette nouvelle théorie s’appuie également sur des suggestions antérieures faites par l’égyptologue britannique Nicholas Reeves. En 2015, il observait que le masque aurait pu être destiné à la reine Néfertiti, belle-mère de Toutânkhamon. Il a noté l’« apparence féminine » du masque et sa ressemblance avec le buste de Néfertiti. Reeves avait alors émis l’hypothèse que le masque appartenait initialement à Néfertiti et qu’il aurait été adapté pour Toutânkhamon en raison de l’urgence des préparatifs funéraires.
D’autres signes confirment cette théorie, à l’instar de taches de peinture sur les murs du tombeau de Toutânkhamon qui indiquent qu’elles n’avaient pas complètement séché lorsque le tombeau fut scellé. De plus, la taille de la chambre funéraire était plus petite que ce à quoi on aurait pu s’attendre pour un pharaon de sa réputation. Ces indices renforcent ainsi l’idée que l’enterrement de Toutânkhamon a été précipité. En raison de la nature soudaine de sa mort, certains experts pensent que la cour a dû utiliser ce qui était disponible pour son enterrement, y compris un masque funéraire qui aurait pu appartenir à une autre personne et adapté pour le pharaon.
S’interroger sur le tombeau de Toutânkhamon : pourquoi est-ce important ?
L’étude du masque de Toutânkhamon continue de révéler des détails qui enrichissent notre compréhension de l’Égypte ancienne. Plus de 3 000 ans après sa création, cet artefact précieux nous rappelle qu’il reste encore de nombreux mystères à découvrir, y compris les origines du masque lui-même. Les masques funéraires étaient surtout très importants dans la culture égyptienne ancienne et ils étaient fabriqués à l’image du défunt pour faciliter le retour de l’âme dans le corps dans l’au-delà. La notion que le masque n’était pas destiné à l’origine à Toutânkhamon soulève ainsi des questions sur les pratiques funéraires et le recyclage des artefacts dans l’Égypte ancienne.
Toutânkhamon et Néfertiti, côte à côte ?
La possibilité que le masque ait été fabriqué initialement pour Néfertiti est renforcée par le fait que son tombeau ou sa momie n’ont jamais été découverts. Néfertiti, dont le nom signifie ‘la belle est venue’, a vécu il y a plus de 3 300 ans et était la femme principale du pharaon Akhenaton. Elle est l’une des figures les plus emblématiques de l’Égypte ancienne, connue pour son influence durant la XVIIIe dynastie et reste un sujet d’intense fascination parmi les historiens. Or, des théories passionnantes affirment qu’elle pourrait reposer tout près de Toutânkhamon.
« Le tombeau dans lequel le sarcophage de Toutânkhamon a été découvert est assez petit pour un pharaon. Il est fort probable qu’il fasse partie d’un espace plus grand de 5-6 pièces qui était à l’origine aménagé pour la reine Néfertiti », estimait par exemple Nicholas Reeves. Les tentatives précédentes de localiser des chambres cachées dans le tombeau de Toutânkhamon ont néanmoins donné des résultats mitigés. En 2016, des spécialistes japonais dirigés par Hirokatsu Watanabe affirmaient que deux pièces cachées étaient visibles derrière un des murs avec des indications de « matière organique » et de « métal ». Cependant, des enquêtes ultérieures menées par des archéologues italiens de l’Université polytechnique de Turin, dirigés par Francesco Porcelli, n’ont pas confirmé l’existence de cavités derrière les murs du tombeau.
Malgré les incertitudes, il y a de l’espoir que des révélations et analyses de la tombe de Toutânkhamon, y compris des recherches de terrain au radar pour des passages cachés, pourraient apporter de nouvelles réponses dans les prochaines années et lever le voile sur d’autres mystères de l’Égypte ancienne.