Les tourbillons quantiques confirment la superfluidité du suprasolide

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Crédits : Rost-9D/istock

Les suprasolides sont des matériaux qui défient la logique et les attentes. À première vue, un suprasolide semble être un solide classique, en raison de sa structure cristalline rigide, mais il possède également des caractéristiques de liquide, notamment la superfluidité qui lui permet de s’écouler sans friction. Cette cohabitation de propriétés apparemment opposées a longtemps été théorisée, mais jusqu’à récemment, la confirmation expérimentale de ces propriétés restait un défi. Une percée scientifique récente a toutefois permis de mettre en évidence l’existence de tourbillons quantiques dans un suprasolide, confirmant ainsi sa capacité à se comporter comme un liquide superfluide. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives pour la physique des matériaux et pourrait avoir des applications révolutionnaires.

Suprasolides et superfluidité : des concepts paradoxaux

Un suprasolide est un état de la matière qui défie les lois classiques de la physique. Ce matériau possède des caractéristiques paradoxales : il est à la fois solide et superfluide. En d’autres termes, un suprasolide conserve sa forme rigide, comme un solide, tout en présentant la capacité unique d’un liquide superfluide.

Dans le détail, la superfluidité est un phénomène quantique dans lequel un fluide s’écoule sans aucune friction, même à des températures extrêmement basses. Cela permet au fluide de grimper le long des parois d’un récipient ou de se déplacer indéfiniment sans jamais s’arrêter. Ce phénomène a été observé pour la première fois dans les années 1930 avec l’hélium-4 et a été depuis lors un terrain d’étude fascinant pour les physiciens.

L’une des caractéristiques les plus intrigantes de la superfluidité est la formation de tourbillons quantiques. Ces petites spirales d’énergie se forment lorsqu’un fluide superfluide est mis en rotation. Elles sont un indicateur clé de la superfluidité, mais leur observation est difficile, notamment dans des systèmes complexes comme les suprasolides. C’est désormais chose faite. Dans le cadre d’une nouvelle étude publiée dans la revue Nature, une équipe dirigée par la physicienne Francesca Ferlaino a réalisé une percée en créant des tourbillons quantiques dans un suprasolide bidimensionnel.

Comment les chercheurs ont-ils fait ?

Pour mener cette expérience complexe, les chercheurs ont utilisé des gaz d’atomes d’erbium ultra-froids, connus pour leurs propriétés dipolaires (les atomes d’erbium possèdent un moment dipolaire magnétique important, ce qui les rend particulièrement adaptés à ce type d’expérience). Les atomes ont été refroidis à des températures proches du zéro absolu, créant un gaz quantique où les effets de la mécanique quantique deviennent prédominants. Ce gaz a ensuite été manipulé dans un état suprasolide, une phase où les atomes, bien que disposés dans une structure cristalline régulière comme un solide, possèdent des propriétés fluides.

Pour explorer la superfluidité de ce suprasolide, les chercheurs ont utilisé des champs magnétiques pour faire tourner le gaz ultra-froid d’atomes d’erbium. Le défi ici était de créer un mouvement sans perturber la structure fragile du suprasolide, car même un léger excès d’énergie pourrait déstabiliser l’état suprasolide. Les champs magnétiques ont permis de faire tourner doucement le suprasolide tout en préservant sa cohésion cristalline.

Cette agitation a provoqué la formation de tourbillons quantiques. Notez que contrairement aux tourbillons classiques observés dans l’eau ou d’autres liquides, les tourbillons quantiques dans un fluide superfluide sont extrêmement petits et bien définis, étant quantifiés. Cela signifie qu’ils apparaissent par petits blocs d’énergie, un aspect fondamental de la mécanique quantique.

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Simulation de tourbillons quantiques superposée à des données expérimentales. Crédits : Université d’Innsbruck, Autriche

Pourquoi cette découverte est-elle importante ?

Comme on pouvait s’y attendre, les chercheurs ont observé que les tourbillons dans un suprasolide se comportaient différemment de ceux observés dans des fluides quantiques classiques comme l’hélium-4. Plus précisément, dans l’hélium-4, un fluide quantique bien étudié, la superfluidité se manifeste sous forme de fluides qui peuvent s’écouler sans résistance. Toutefois, dans un suprasolide, un matériau qui est à la fois solide et fluide, les tourbillons quantiques montrent que la superfluidité coexiste avec la rigidité du solide. Autrement dit, même si le suprasolide conserve sa forme rigide, il peut quand même se comporter comme un fluide qui tourne sans perdre d’énergie. Cette coexistence, prédite par la théorie, a donc été confirmée par cette expérience.

Cette découverte constitue une avancée majeure non seulement pour la physique fondamentale, mais aussi pour la science des matériaux. Elle ouvre la voie à de nouvelles recherches sur la façon dont les propriétés des matériaux peuvent être manipulées à l’échelle quantique et pourrait avoir des applications révolutionnaires. Par exemple, les suprasolides et leurs propriétés de superfluidité pourraient être utilisés pour développer de nouveaux types de supraconducteurs qui transportent l’électricité sans perte d’énergie ou même pour simuler des phénomènes extrêmes observés dans des environnements astrophysiques.

Les étoiles à neutrons présentent par exemple des comportements mystérieux appelés glitches, des changements rapides dans leur vitesse de rotation. Ces anomalies pourraient être causées par des tourbillons superfluides qui se forment à l’intérieur de ces étoiles. En étudiant les tourbillons quantiques dans des suprasolides, les scientifiques espèrent ainsi mieux comprendre ces phénomènes et les reproduire en laboratoire.