Dans le règne animal, il est fréquent que les mâles soient plus grands, plus bruyants et plus visuellement impressionnants. Cela leur permet de prouver leur bonne santé à une partenaire potentielle et peut donc augmenter leurs chances de reproduction. Cependant, dans le monde du Syngnathus floridae, ce sont apparemment en réalité les mâles plus petits qui ont le plus de succès en plus de devoir porter les œufs. Une étude a récemment exploré la vie secrète des mâles enceints de cette espèce et livré quelques découvertes étonnantes sur les critères de beauté auxquels doit répondre ce poisson.
Le syngnathe, un poisson des plus étranges
Communément appelé syngnathe de Floride, Syngnathus floridae est un poisson osseux qui appartient à la famille des Syngnathidae qui inclut également les hippocampes. D’ailleurs, on le considère parfois comme un hippocampe droit. Ce poisson allongé à l’apparence élancée et tubulaire se distingue surtout par son museau long et fin ainsi que par son corps recouvert de plaques osseuses rigides qui lui offrent une protection naturelle.
Il habite principalement les eaux côtières peu profondes de l’Atlantique occidental, depuis la Caroline du Nord jusqu’au golfe du Mexique où il fréquente communément les herbiers marins et les fonds sablonneux qui lui permettent de se camoufler habilement grâce à son corps brunâtre ou verdâtre. Par ailleurs, ce poisson se nourrit principalement de petits crustacés et autres invertébrés planctoniques, qu’il capture par aspiration rapide à l’aide de son museau spécialisé. Toutefois, son mode de reproduction est sans doute ce qui lui vaut le plus d’intérêt dans le monde des sciences.
Un poisson avec également une reproduction singulière
Particulièrement connu pour son mode de reproduction unique, Syngnathus floridae présente un système de soins paternels. Après la fécondation, les œufs sont en effet transférés dans une poche incubatrice située sous l’abdomen du mâle où ils se développent jusqu’à l’éclosion. Ce comportement assure une protection accrue des embryons et optimise leur survie. Par ailleurs, les individus de cette espèce ont une saison de reproduction où mâles et femelles cherchent à s’accoupler avec le plus de partenaires possible. La poche incubatrice du mâle peut même contenir des œufs provenant de plusieurs femelles.
Un physique qui compte pour plaire
Les syngnathes ne présentent pas de dimorphisme sexuel, ce qui signifie que les mâles et les femelles se ressemblent physiquement. On parle alors de monomorphisme. Toutefois, ce n’est pas parce qu’ils se ressemblent qu’un trait particulier au sein de la population ne peut pas attirer l’attention d’une femelle. Comme dit plus tôt et comme chez les hippocampes, les mâles syngnathes portent la grossesse. De ce fait, leur condition physique est essentielle pour une femelle, car il doit être suffisamment robuste pour porter ses œufs.
« Les syngnathes sont uniques, car ils ne suivent pas les « règles » habituelles de l’évolution. Dans la plupart des espèces, les mâles rivalisent pour attirer les femelles. Néanmoins, chez les syngnathes, ce sont les mâles qui portent et protègent les embryons », rappelle Nicole Tosto, doctorante à l’université de Canterbury (UC) et co-autrice de l’article, dans un communiqué.
Étant donné qu’il n’existe aucune différence physique visible entre les syngnathes mâles et femelles, l’équipe a ici voulu déterminer si des pressions de sélection étaient en jeu au niveau génétique. Des syngnathes ont donc été collectés dans les herbiers marins de la baie de Tampa (un estuaire situé le long du golfe du Mexique rivé sur la côte ouest de la Floride) afin d’établir des populations de reproduction. Étant donné leur ressemblance, chaque poisson a été marqué avec des étiquettes fluorescentes pour permettre l’identification des individus.
La reproduction de ce poisson passée à la loupe
Les chercheurs ont analysé le succès reproductif des syngnathes et ont également procédé à un séquençage de l’ARN dans leurs gonades, leur foie (choisi parce qu’il joue « un rôle clé dans la production d’œufs et de spermatozoïdes chez les poissons » selon l’article) et leurs branchies afin d’observer les différences d’expression génétique dans ces organes.
Cela a permis de découvrir un fait tout à fait fascinant et surprenant : les syngnathes ne possèdent en réalité pas de chromosomes sexuels. En outre, les mâles et femelles partagent le même patrimoine génétique. En revanche, ils activent leurs gènes différemment. Les chercheurs ont en effet découvert que les syngnathes mâles activaient des gènes produisant des protéines qui renforcent leur système immunitaire, ce qui est bénéfique pour porter les œufs dans la poche incubatrice, une situation qui les rend vulnérables aux infections. Du côté des femelles, ce sont des gènes qui favorisent la production d’œufs qui s’activent.
Des critères de séduction qui leur sont propres
Lors de ces recherches, les chercheurs ont également constaté que les femelles préféraient les mâles plus petits. Bien que rare dans le monde animal, ce fait semble s’expliquer par l’écologie particulière de l’espèce. Il semblerait en effet que les mâles plus petits nécessitent moins de ressources et pourraient même être plus performants dans l’exécution des mouvements complexes et synchronisés de la parade nuptiale.
Cependant, les chercheurs soulignent que c’est « surprenant, car des études menées sur des S. floridae sauvages montrent que les mâles plus grands présentent souvent un succès reproductif et un succès d’accouplement plus élevés par rapport aux mâles plus petits ». Ils suggèrent que cela « pourrait refléter une véritable tendance dans cette population de S. floridae […] ou être un artefact lié au fait d’avoir hébergé les syngnathes en laboratoire. »
Ces résultats ne sont pas uniquement fascinants d’un point de vue biologique, ils pourraient également aider à mieux orienter les stratégies de conservation. « Comprendre comment ces pressions façonnent les systèmes de reproduction nous aide à mieux comprendre comment les espèces survivent et s’adaptent à leur environnement », conclut Tosto.
Vous pouvez consulter ces recherches ici.