Sur les traces de SpaceX, Blue Origin réalise une grande première dans le cadre d’une mission interplanétaire

Pour la première fois de son histoire, Blue Origin a récupéré le premier étage de sa fusée orbitale New Glenn après un lancement pleinement opérationnel. Cet exploit, longtemps considéré comme le marqueur ultime de maturité technologique dans l’industrie des lanceurs, repositionne brutalement l’entreprise de Jeff Bezos dans une compétition dominée depuis une décennie par SpaceX. Mais cet événement n’a pas seulement une valeur symbolique : il intervient lors d’une mission interplanétaire de la NASA, ESCAPADE, destinée à explorer la façon dont Mars a perdu son atmosphère. Entre prouesse technique, trajectoire inédite vers la planète rouge et enjeux industriels massifs, ce vol réussit à condenser toutes les tensions contemporaines de l’exploration spatiale.

New Glenn parvient à faire ce que beaucoup pensaient hors de portée

Le vol du 13 novembre marque le deuxième essai en vol de New Glenn, mais le premier à démontrer la récupération contrôlée du premier étage. Après avoir placé la charge utile sur la bonne trajectoire, l’étage principal a entamé une séquence de freinage atmosphérique avant de rallumer trois de ses moteurs BE-4 pour un atterrissage vertical sur la barge Jacklyn. Ce scénario, devenu familier grâce à SpaceX, restait pourtant inédit pour Blue Origin, dont les premiers tests n’avaient pas permis une récupération complète.

La maîtrise de cette étape est un changement de paradigme pour l’entreprise. Un booster capable de voler au moins 25 fois, comme le promet la conception de New Glenn, permet de réduire drastiquement les coûts opérationnels. Cela ouvre également la voie à une cadence de lancement plus élevée, un critère décisif dans un marché où les clients institutionnels, commerciaux et militaires attendent des calendriers fiables et des coûts prévisibles. Avec une capacité de 50 tonnes en orbite basse, New Glenn se positionne désormais comme un véritable concurrent du Falcon Heavy et un partenaire potentiel de grandes constellations telles que Kuiper, le projet d’internet spatial d’Amazon.

New Glenn Blue Origin
Crédit : Blue Origin
Le New Glenn repose sur la plateforme d’atterrissage « Jacklyn » après son atterrissage réussi le 13 novembre.

ESCAPADE : une mission martienne qui inaugure une nouvelle philosophie

La réussite de la récupération du booster ne doit pas faire oublier l’objectif principal du vol : envoyer la mission ESCAPADE sur sa trajectoire interplanétaire. Composée de deux sondes jumelles construites pour moins de 80 millions de dollars, cette mission expérimentale va étudier les mécanismes qui ont conduit Mars à perdre la majeure partie de son atmosphère.

ESCAPADE suit une trajectoire très particulière : plutôt qu’un transfert direct vers Mars, les sondes rejoignent d’abord le point de Lagrange L2 Terre-Soleil, situé à environ 1,5 million de kilomètres. Elles y resteront un an avant de revenir près de la Terre pour un survol de gravité qui les propulsera vers la planète rouge en 2026. Cette approche, inédite pour une mission martienne, permet d’échapper aux fenêtres de tir traditionnelles, qui n’ouvrent que tous les 26 mois.

Une fois en orbite en 2027, les deux sondes cartographieront l’environnement plasma martien grâce à quatre instruments identiques. Leurs données permettront d’étudier la manière dont le vent solaire érode l’atmosphère et influence l’évolution climatique de Mars — une question centrale pour comprendre l’habitabilité passée de la planète.

Un vol qui change l’équilibre de l’industrie spatiale

La combinaison d’un lancement interplanétaire et de la récupération d’un booster orbital constitue un tournant stratégique pour Blue Origin. Cette démonstration réussie rapproche l’entreprise de l’obtention de contrats de sécurité nationale et renforce son rôle dans les futures architectures de communication spatiale, notamment via le test de télémétrie InRange embarqué sur ce vol.

Surtout, elle représente un signal psychologique fort pour un secteur où la réutilisation n’est plus une option mais un standard. En parvenant enfin à poser son premier étage, Blue Origin se hisse dans un club extrêmement restreint et prouve qu’elle est capable de rivaliser sur le terrain où SpaceX semblait inexpugnable. Ce succès technique, industriel et symbolique marque peut-être le début d’une nouvelle phase : celle d’une concurrence réelle entre acteurs capables de maîtriser la réutilisation orbitale, clé de voûte du spatial moderne.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.