Depuis près d’un siècle, la matière noire intrigue les astronomes et les physiciens. Cette substance invisible constitue en effet environ 85 % de la matière de l’Univers et joue un rôle crucial dans le maintien des galaxies. Pourtant, personne ne sait exactement ce qu’elle est. Des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley pensent avoir toutefois trouvé un moyen révolutionnaire de percer ce mystère. La clé pourrait résider dans l’explosion spectaculaire d’une étoile massive (ou supernova). Si une telle explosion survenait à proximité, elle pourrait produire un signal détectable qui révélerait la nature de la matière noire à condition que nous soyons prêts à observer.
Qu’est-ce que la matière noire ?
La matière noire est une substance insaisissable. Contrairement à la matière ordinaire qui compose les étoiles, les planètes et même nos corps, elle n’émet ni lumière ni énergie. Elle est donc invisible aux télescopes classiques. Les scientifiques savent qu’elle existe uniquement grâce à son influence gravitationnelle. Par exemple, sans la matière noire, les galaxies telles que nous les connaissons ne pourraient pas se maintenir ensemble.
Cependant, malgré des décennies de recherche, sa composition exacte demeure un mystère. Les physiciens s’efforcent donc d’identifier les particules qui pourraient la constituer. L’une des hypothèses les plus prometteuses est l’existence des axions, des particules extrêmement légères qui résoudraient plusieurs énigmes fondamentales en physique. Bien qu’ils n’aient encore jamais été détectés, ils sont en effet théoriquement compatibles avec le modèle standard de la physique et pourraient expliquer la majeure partie de la matière noire présente dans l’Univers.
Les supernovas : des laboratoires cosmiques
C’est ici que les supernovas entrent en jeu. Une supernova, l’explosion finale d’une étoile massive, est l’un des phénomènes les plus spectaculaires de l’Univers. Ces événements libèrent une énergie colossale, comparable à celle produite par une galaxie entière en un seul instant. Néanmoins, au-delà de leur éclat, ces explosions pourraient offrir des indices précieux sur l’existence des axions et, par extension, sur la nature de la matière noire.
Plus précisément, lorsque le noyau d’une étoile massive s’effondre, il peut se transformer en étoile à neutrons, un objet extrêmement dense doté d’un champ magnétique intense. Dans ces conditions extrêmes, les chercheurs pensent que des axions pourraient être produits en grandes quantités. En traversant le champ magnétique environnant, ces particules pourraient alors se convertir en rayons gamma, un type de lumière à très haute énergie détectable depuis la Terre.
Comment détecter les axions grâce à une supernova ?
La clé de cette découverte réside dans la détection de ces rayons gamma produits par les axions. Aujourd’hui, le télescope spatial Fermi, en orbite autour de la Terre, est l’un des rares instruments capables de détecter de tels signaux. Si une supernova se produisait dans notre galaxie et si Fermi était orienté dans la bonne direction, il pourrait alors capter ces rayons gamma en quelques secondes après l’explosion.
Une telle observation fournirait des informations cruciales sur les axions, notamment leur masse et leurs propriétés. Cela permettrait non seulement de confirmer leur existence, mais aussi de résoudre l’un des plus grands mystères de la physique moderne : la matière noire.
Cependant, la probabilité d’une telle détection reste faible. Pour que les rayons gamma soient suffisamment puissants, la supernova devrait être relativement proche, dans notre galaxie ou dans une galaxie satellite comme le Grand Nuage de Magellan. Or, ces événements sont rares : la dernière supernova visible proche, appelée SN 1987A, s’est produite en 1987. De plus, le télescope doit être orienté dans la bonne direction au moment de l’explosion, ce qui réduit encore les chances de succès.
Sommes-nous prêts à saisir cette opportunité ?
Le principal défi pour les scientifiques est de s’assurer que nous serons prêts lorsque la prochaine supernova proche se produira. Aujourd’hui, le télescope Fermi ne peut surveiller qu’une petite partie du ciel à un moment donné. Cela signifie qu’il y a une forte chance de manquer le signal gamma crucial si une supernova éclate dans une région non couverte.
Pour remédier à ce problème, des chercheurs proposent de construire une constellation de télescopes à rayons gamma capables de surveiller l’ensemble du ciel en permanence. Ce projet, nommé GALAXIS (GALactic AXion Instrument for Supernova), garantirait que nous ne manquerons aucun événement. Cependant, un tel réseau nécessite des années de planification et des investissements importants et la prochaine supernova pourrait survenir avant que ce projet ne soit réalisé.
L’idée qu’une supernova puisse révéler la matière noire ajoute un sentiment d’urgence aux recherches scientifiques. Les chercheurs savent qu’ils doivent agir vite pour maximiser leurs chances. Comme le souligne Benjamin Safdi, physicien à l’Université de Californie à Berkeley : « Ce serait vraiment dommage qu’une supernova se produise demain et que nous manquions l’occasion de détecter l’axion. »
En attendant, les scientifiques continuent d’affiner leurs instruments et de développer des stratégies pour être prêts à détecter ce signal rare, mais révolutionnaire.