crédits : Elon Musk/X

SpaceX va tenter quelque chose que la plupart des ingénieurs aérospatiaux considéreraient comme de la folie pure

Le 13 octobre prochain, SpaceX s’apprête à lancer son onzième vol d’essai Starship dans des conditions pour le moins inhabituelles. L’entreprise d’Elon Musk a volontairement retiré des milliers de tuiles protectrices de sa fusée, exposant délibérément des zones vulnérables à des températures infernales de 1430°C. Cette stratégie apparemment suicidaire cache en réalité une logique implacable qui pourrait révolutionner l’accès à l’espace.

Le pari risqué de l’auto-sabotage contrôlé

Imaginez un pilote d’essai qui retirerait volontairement des pièces de son avion avant de décoller. C’est exactement ce que fait SpaceX avec Starship. Des milliers de carreaux de protection thermique en céramique, censés protéger la structure en acier inoxydable du vaisseau lors de sa rentrée atmosphérique, ont été délibérément enlevés.

L’objectif ? Découvrir les points de rupture réels du système. En exposant intentionnellement des zones critiques où les tuiles sont collées directement sur la structure métallique, sans couche de protection secondaire, SpaceX cherche à comprendre exactement où et comment le bouclier thermique peut défaillir. C’est une approche radicale qui reflète la philosophie de l’entreprise : échouer vite, apprendre rapidement, et itérer sans relâche.

Cette méthode tranche radicalement avec l’approche traditionnelle de la NASA, où chaque composant est testé jusqu’à l’épuisement avant le moindre vol. SpaceX préfère tester en conditions réelles, quitte à perdre des véhicules en chemin.

Un succès fragile après une série noire

Le contexte rend cette audace encore plus remarquable. Le précédent vol du 26 août marquait le premier succès de Starship après quatre échecs consécutifs. Trois en vol, un au sol. La pression était immense, et le soulagement palpable lorsque le vaisseau a finalement amerri comme prévu dans l’océan Indien.

Pourtant, même ce succès comportait des zones d’ombre. Les caméras embarquées ont révélé une large zone de décoloration orange sur le flanc du véhicule. Bill Gerstenmaier, vice-président de SpaceX, a expliqué que cette oxydation provenait de tuiles métalliques expérimentales testées à la place des isolants céramiques traditionnels. Le résultat ? Ces tuiles métalliques « n’ont pas fonctionné aussi bien » qu’espéré.

Pour le vol 11, SpaceX a donc abandonné cette piste, du moins temporairement. Mais l’entreprise ne renonce jamais vraiment. Elle archive, analyse, et reviendra avec une nouvelle approche.

La quête obsessionnelle de la réutilisabilité totale

Pourquoi tant d’acharnement sur le bouclier thermique ? Parce qu’il représente le talon d’Achille de la réutilisabilité rapide. Chaque dommage au bouclier nécessite une inspection minutieuse et des réparations coûteuses. Or, l’objectif ultime de SpaceX est de faire décoller Starship, de le faire atterrir, et de le relancer en quelques heures, comme un avion de ligne.

Cette vision explique pourquoi le prochain vol testera également une nouvelle séquence d’atterrissage pour le propulseur Super Heavy. Au lieu de passer directement de 13 moteurs allumés à 3 pour la phase finale, le système utilisera maintenant une étape intermédiaire à 5 moteurs. Cette redondance supplémentaire offre une marge de sécurité en cas de panne moteur spontanée.

Le propulseur en question, le Booster 15, n’est d’ailleurs pas un nouveau-né. Il a déjà volé en mars dernier, marquant ainsi la deuxième réutilisation d’un Super Heavy. Sur les 33 moteurs Raptor qui l’équiperont, 24 sont des unités « éprouvées en vol », c’est-à-dire ayant déjà servi lors de missions précédentes.

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Une vue de l’étage supérieur du Starship lors de sa rentrée le 13 octobre 2024. Crédits : SpaceX

Des manœuvres inédites pour préparer l’avenir

Le vol 11 introduira aussi une nouveauté spectaculaire : une manœuvre d’inclinaison dynamique pendant la descente finale. Cette pirouette aérienne vise à reproduire la trajectoire qu’empruntera Starship lorsqu’il reviendra directement à sa base de lancement au Texas.

Car oui, l’objectif final n’est pas d’amerrir dans l’océan. SpaceX veut que Starship revienne se poser délicatement dans les bras mécaniques géants de sa tour de lancement, exactement comme le fait déjà le propulseur Super Heavy lors de certains vols. Imaginez un gratte-ciel volant de 50 mètres de haut se posant avec la précision d’un danseur entre deux pinces métalliques. C’est ce défi fou que SpaceX se prépare à relever, peut-être dès 2025.

Le dernier vol avant la métamorphose

Ce qui rend ce vol encore plus significatif, c’est qu’il sera le dernier de cette configuration. Après le 13 octobre, Starship tel que nous le connaissons tire sa révérence. SpaceX se concentrera entièrement sur le développement du Starship Version 3, une évolution majeure prévue pour début 2026.

Cette troisième génération sera plus grande, plus puissante, et surtout, elle sera la première à atteindre réellement l’orbite terrestre. Tous les vols précédents, par conception, s’arrêtaient juste avant la vitesse orbitale. Starship V3 franchira ce cap, permettant enfin à SpaceX de commencer à déployer sa nouvelle constellation de satellites Starlink de nouvelle génération.

Mais l’enjeu dépasse largement Internet depuis l’espace. Starship V3 servira de banc d’essai pour le ravitaillement orbital, une technique jamais maîtrisée avec des propergols cryogéniques. Sans cette capacité de faire le plein en orbite, impossible d’envoyer Starship vers la Lune ou Mars avec suffisamment de carburant pour le voyage retour.

Une nouvelle rampe, de nouvelles ambitions

Pour accueillir cette bête augmentée, SpaceX construit actuellement une seconde rampe de lancement à côté de l’originale. Les équipements et les tests battent leur plein au Texas. Si tout se déroule comme prévu, le vol 12 début 2026 sera probablement encore suborbital, histoire de valider les systèmes. Mais le vol 13 pourrait bien être celui qui changera tout, atteignant enfin l’orbite basse et ouvrant véritablement l’ère opérationnelle de Starship.

D’ici là, le vol du 13 octobre nous offrira un dernier aperçu de cette première génération, poussée délibérément dans ses retranchements. Un vaisseau sabordé pour mieux renaître. Une défaillance programmée pour bâtir la perfection. C’est toute la philosophie SpaceX concentrée en un seul lancement.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.