Le succès éclatant du vol 11 de Starship lundi dernier marque bien plus qu’une simple réussite technique. Il signe la fin d’un chapitre troublé et ouvre la voie à une mutation profonde du programme spatial le plus ambitieux jamais entrepris. Alors que SpaceX referme le livre de la version 2 de sa méga-fusée, l’entreprise d’Elon Musk s’apprête à franchir un seuil décisif avec l’arrivée de Starship V3, une machine pensée pour tenir enfin les promesses qui semblaient hors d’atteinte il y a encore quelques mois.
La rédemption après une année catastrophique
Pour comprendre l’ampleur de ce basculement, il faut revenir sur les déboires qui ont ponctué 2024. Entre janvier et juin, SpaceX a enchaîné les déconvenues avec sa version 2 du Starship. Trois lancements interrompus prématurément, une fuite de carburant persistante, des problèmes de propulsion récurrents, et le clou du spectacle : une explosion sur banc d’essai en juin qui a jeté un doute sérieux sur la viabilité de cette génération de fusée.
Cette série noire contrastait violemment avec la dynamique positive observée depuis 2023, où chaque vol semblait progresser de manière régulière. L’équipe de développement s’est retrouvée face à un mur : fallait-il persévérer avec cette configuration ou accélérer la transition vers la génération suivante ?
Le vol d’août a apporté un début de réponse. Pour la première fois, un Starship V2 atteignait l’amerrissage sans incident majeur. Mais ce succès s’accompagnait d’observations troublantes : des tuiles métalliques du bouclier thermique inadaptées laissant des traces d’oxydation orange, signe que le système de protection n’était pas encore au point. En parallèle, une expérience prometteuse émergeait : le fameux matériau « crunch wrap », une solution souple destinée à combler les interstices entre les tuiles céramiques.
Le vol 11 a validé cette approche avec brio. Aucun dommage visible sur le bouclier thermique durant la rentrée atmosphérique à 1 430 degrés Celsius. C’est précisément cette intégrité structurelle qui autorise SpaceX à envisager la réutilisabilité complète du véhicule, le Saint Graal du programme selon Elon Musk lui-même.

V3 : une rupture technologique sur tous les fronts
La prochaine itération du Starship ne sera pas une simple évolution. SpaceX prépare une refonte substantielle qui touche l’ensemble du système. Les réservoirs de propergol gagnent en volume pour augmenter la capacité d’emport, une nécessité absolue pour les missions au-delà de l’orbite terrestre basse. Les moteurs Raptor 3 promettent des performances accrues et une fiabilité renforcée, deux paramètres critiques pour atteindre la cadence de vol visée.
Le compartiment de charge utile subit également une optimisation radicale, pensé spécifiquement pour accueillir les satellites Starlink de nouvelle génération. Ces engins, plus massifs que leurs prédécesseurs, ne peuvent être lancés que par Starship. Leur déploiement conditionne l’expansion du réseau de communication spatial de SpaceX, créant une boucle de dépendance stratégique entre les deux projets.
Mais la véritable rupture se situe ailleurs : dans la démonstration de ravitaillement orbital prévue pour l’année prochaine. Cette capacité, longtemps reléguée au rang de fantasme technologique, devient soudain une échéance concrète. Sans elle, impossible d’envisager des missions vers Mars ou même vers la Lune. Le concept repose sur un ballet spatial complexe où plusieurs Starship se retrouvent en orbite pour transférer du carburant vers un véhicule destiné à poursuivre son voyage.
La NASA attend, le calendrier dérape. Le ravitaillement orbital n’est pas qu’une prouesse technique pour la galerie. Il constitue une obligation contractuelle dans le cadre du partenariat avec la NASA pour le programme Artemis. L’agence spatiale américaine a investi plus de quatre milliards de dollars dans le développement d’une variante lunaire du Starship, capable de déposer des astronautes sur la surface de notre satellite naturel.
Or, le calendrier d’Artemis accumule les retards, en partie à cause des délais du programme Starship. Chaque mois perdu par SpaceX se répercute mécaniquement sur l’échéancier global de retour des humains sur la Lune. La pression monte donc sur l’entreprise texane pour accélérer le rythme et valider rapidement les capacités de la version 3.
L’infrastructure suit le rythme
SpaceX ne se contente pas de développer de nouvelles fusées. L’entreprise déploie en parallèle une infrastructure de lancement sans précédent. Un second pas de tir émerge actuellement au Texas, spécifiquement conçu pour accueillir les dimensions accrues du Starship V3. Contrairement au premier site, celui-ci intègre une fosse anti-flammes conventionnelle, abandonnant le système de support surélevé qui prévalait jusqu’ici.
Le pas de tir original subira lui aussi une rénovation complète dans les prochains mois pour s’adapter aux nouvelles spécifications. Au-delà du Texas, des installations supplémentaires prennent forme en Floride, à Cap Canaveral et au centre spatial Kennedy. Cette multiplication des sites de lancement traduit l’ambition affichée : passer de quelques vols annuels à une cadence mensuelle, puis hebdomadaire, et finalement quotidienne.
Cette vision peut sembler démesurée, mais elle répond à une logique économique implacable. La réutilisabilité n’a de sens financier que si elle s’accompagne d’une rotation rapide des véhicules. Un Starship qui ne vole qu’une fois par an, même réutilisable, reste un fardeau. Un Starship qui décolle chaque semaine devient une machine à générer de la valeur.
Le test décisif approche
Si le vol 12 se déroule conformément aux attentes avec la nouvelle configuration, SpaceX envisage de placer le véhicule suivant directement en orbite pour évaluer son endurance dans l’environnement spatial. Cette étape préparera le terrain pour la manœuvre la plus spectaculaire : la capture d’un vaisseau revenant de l’orbite par la tour de lancement, exactement comme l’entreprise l’a déjà réalisé avec les propulseurs Super Heavy.
Les prochains mois diront si cette transition vers la version 3 tient ses promesses ou si de nouveaux obstacles techniques surgissent. Une chose est certaine : après le vol 11, SpaceX ne peut plus se permettre de trébucher.
