Souris C57BL/6 noire laboratoire
Crédits : unoL/iStock

CRISPR : des souris créées à partir de deux pères atteignent l’âge adulte pour la première fois

L’idée de la reproduction biologique entre individus de même sexe chez les mammifères a longtemps été considérée comme impossible. Cependant, des scientifiques ont pour la première fois créé en laboratoire une souris bi-paternelle (avec deux pères) qui a survécu jusqu’à l’âge adulte. Dans cette nouvelle étude, des chercheurs de l’Académie chinoise des sciences (CAS) expliquent comment le ciblage d’un ensemble particulier de gènes leur a permis de surmonter des obstacles auparavant insurmontables dans la reproduction unisexuée chez les mammifères.

Cette avancée pourrait faire progresser la recherche sur les cellules souches et la médecine régénérative, tout en ouvrant de nouvelles perspectives dans la science de la reproduction.

Les limites génétiques de la reproduction unisexuée

Des études antérieures ont documenté des tentatives de création de souris à partir d’un couple de souris mâles en utilisant des cellules souches. Présentes dans les organes et tissus de tout le corps, ces cellules peuvent se développer en différents types cellulaires et sont essentielles pour la croissance et l’entretien des tissus. Cependant, jusqu’à présent, les embryons créés ne se développaient qu’à un certain point avant d’arrêter leur croissance.

Dans cette étude, publiée le 28 janvier dans la revue Cell Stem Cell et menée par des chercheurs de l’Académie chinoise des sciences, les chercheurs se sont concentrés sur le ciblage des gènes d’empreinte génomique. Il s’agit d’un phénomène biologique étrange qui entraîne une expression différente de certains gènes selon leur origine parentale. Les animaux héritent en réalité d’une ‘dose’ de gènes de chaque parent qui doivent ensuite fonctionner en harmonie pour créer un embryon sain. En l’absence de ces deux doses ou en cas de perturbations de cette empreinte, l’expression des gènes peut dérailler et les embryons peuvent alors présenter des anomalies dues à des troubles génétiques.

Les auteurs expliquent que dans des tentatives antérieures, des cellules souches qui provenaient de souris mâles étaient utilisées pour dériver un ovocyte (une cellule ovarienne qui peut former un ovule). Ces ovocytes étaient ensuite fécondés avec du sperme d’une autre souris mâle pour former des embryons. Cependant, lorsque les chromosomes (connus pour se diviser lors de la création des ovocytes et des spermatozoïdes) provenaient du même sexe, des troubles de l’empreinte survenaient, entraînant alors de graves défauts de développement des embryons.

Une étude révolutionnaire avec une approche différente sur la souris

Ici, l’équipe de recherche a adopté une approche complètement différente. Au lieu d’essayer de créer des ovules, ils se sont concentrés sur l’édition précise de certaines parties du code génétique, et plus précisément vingt gènes connus pour être essentiels au développement de l’embryon. Dans une tentative de créer des souris saines avec de l’ADN provenant de deux pères, l’équipe a entrepris une série complexe d’expériences pour modifier ces gènes critiques individuellement en utilisant diverses techniques avec l’outil CRISPR.

Ces cellules génétiquement modifiées ont ensuite été injectées avec d’autres cellules spermatiques dans des ovocytes dont les noyaux avaient été retirés. Le résultat a été des cellules embryonnaires qui contenaient de l’ADN des deux souris mâles. Ces cellules ont ensuite été transférées dans un type de coque embryonnaire utilisé en recherche pour fournir les cellules nécessaires afin de former un placenta. Les embryons obtenus ont été transférés dans l’utérus de souris femelles. Et cela a fonctionné… dans une certaine mesure. Certains des embryons ont donné naissance à des souriceaux vivants qui ont même survécu jusqu’à l’âge adulte.

souris reproduction bi paternelle
Processus de modification de l’empreinte génétique réalisée au cours de l’étude. Crédits : Li et coll. Cell Stem Cell, 2025

Grâce à l’utilisation de la technologie CRISPR, les chercheurs ont constaté que les modifications génétiques permettaient la création d’animaux bi-paternels qui vivaient plus longtemps et que les cellules souches ainsi formées avaient une pluripotence plus stable. Or, les cellules souches pluripotentes peuvent devenir n’importe quelle cellule ou tissu du corps. Bien que cette science soit loin d’être parfaite, les résultats de l’étude ont surtout démontré que « les anomalies d’empreinte sont la principale barrière à la reproduction unisexuée chez les mammifères », estime Guan-Zheng Luo, co-auteur de l’étude et chercheur à l’Université Sun Yat-sen à Guangzhou.

Pourquoi cette recherche et quelle est la suite ?

Des recherches précédentes avaient montré en 2004 que les souris qui avaient deux mères apparaissaient plus petites et vivaient plus longtemps que prévu tandis que la présente étude montre que les souris avec deux pères sont plus grandes et meurent plus rapidement. Les auteurs ont indiqué que seulement 11,8 % des embryons viables étaient capables de se développer dans l’utérus jusqu’à la naissance et que tous les souriceaux nés ne survivaient pas à l’âge adulte en raison de défauts de développement. La plupart de ceux qui atteignaient l’âge adulte présentaient encore une croissance anormale, une espérance de vie réduite et étaient stériles.

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L’une des souris adultes bipaternelles obtenues (à gauche). Crédits : Li et coll. Cell Stem Cell, 2025

Malgré les limites de l’étude, les scientifiques prévoient de continuer à travailler sur cette approche qui pourrait considérablement améliorer les résultats de développement des cellules souches embryonnaires et des animaux clonés, ce qui ouvrirait ainsi selon eux une voie prometteuse pour la médecine régénérative. Les chercheurs souhaitent à l’avenir tenter la même technique sur des animaux plus grands, notamment des singes, mais restent pour le moment concentrés sur les souris. Ils envisagent en effet pour l’heure de continuer à expérimenter les modifications des gènes d’empreinte pour créer les conditions nécessaires au développement normal d’un embryon.

Des recherches sur les souris applicables aux humains ?

Le communiqué de presse affirme qu’il « reste incertain si cette technologie sera un jour appliquée pour résoudre des maladies humaines ». Il en va de même pour la reproduction au sein des couples gays aidés par une mère porteuse. Les lignes directrices éthiques de la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches interdisent en effet pour l’heure formellement l’édition du génome héréditaire à des fins reproductives, ainsi que l’utilisation de gamètes dérivés de cellules souches humaines pour la reproduction, car ces pratiques sont actuellement considérées comme dangereuses.

Cependant, « d’autres modifications des gènes d’empreinte pourraient potentiellement faciliter la génération de souris bi-paternelles en bonne santé capables de produire des gamètes viables et ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques pour les maladies liées à l’empreinte » chez l’humain, affirme Zhi-Kun Li, co-auteur de ces travaux.

Julie Durand

Rédigé par Julie Durand

Autrefois enseignante, j'aime toujours autant partager mes connaissances et mes passions avec les autres. Je suis notamment passionnée par la nature et les technologies, mais aussi intriguée par les mystères nichés dans notre Univers. Ce sont donc des thèmes que j'ai plaisir à explorer sur Sciencepost à travers les articles que je rédige, mais aussi ceux que je corrige.