Si vos cycles menstruels ne sont plus les mêmes depuis 2010, c’est qu’il y a (peut-être) une bonne raison

Pendant des générations, l’idée que les règles suivent le rythme lunaire a été reléguée au rang de superstition. Pourtant, une étude récente publiée dans Science Advances bouleverse cette certitude en suggérant qu’un lien ancestral aurait bel et bien existé… avant d’être brutalement interrompu par l’avènement d’une technologie que nous utilisons tous les jours. Une hypothèse fascinante qui divise la communauté scientifique.

Une synchronisation perdue dans le temps

Charlotte Helfrich-Förster et son équipe ont entrepris une démarche inhabituelle : analyser les calendriers menstruels de 176 femmes sur des périodes exceptionnellement longues, certaines atteignant 37 années de données. Ces participantes, toutes résidant dans l’hémisphère Nord et n’utilisant pas de contraception orale, ont méthodiquement noté le début de leurs règles mois après mois.

En croisant ces informations avec les données astronomiques – phases lunaires et distance Terre-Lune – les chercheurs ont fait une découverte intrigante. Les cycles menstruels enregistrés avant 2010 présentaient une synchronisation significative avec les pleines et nouvelles lunes. Après cette date charnière, cette corrélation s’effondre progressivement.

Quelle est la particularité de 2010 ? C’est précisément l’année où les diodes électroluminescentes ont envahi notre quotidien, accompagnées par la démocratisation massive des smartphones. Selon l’hypothèse des auteurs, cette pollution lumineuse artificielle aurait perturbé un mécanisme de synchronisation millénaire entre nos horloges biologiques et le cycle lunaire.

Une histoire de gravité et de périhélie

L’étude ne s’arrête pas à la lumière. Les scientifiques ont également exploré une piste gravitationnelle. Leurs analyses révèlent qu’après 2010, les rares synchronisations persistantes se concentrent en janvier, période où la Terre atteint son périhélie, c’est-à-dire le point de son orbite le plus proche du Soleil. Les forces gravitationnelles combinées de notre étoile et de la Lune pourraient-elles exercer une influence mesurable sur nos corps ?

Cette proposition soulève immédiatement le scepticisme d’experts comme Jonti Horner, astrophysicien australien. Selon lui, la variation de distance au périhélie reste trop faible pour justifier un effet biologique. Si la gravité était en cause, nous devrions observer ce phénomène pendant plusieurs semaines autour de janvier, et non ponctuellement.

cycles menstruels
Crédit : Mariia Skovpen/istock

Les failles d’une recherche provocatrice

Helfrich-Förster elle-même reconnaît les limites de son travail. La distinction fondamentale entre corrélation et causalité demeure floue : observer deux phénomènes coïncider ne prouve pas que l’un provoque l’autre. Cette prudence méthodologique est cruciale.

L’étude accumule d’autres fragilités. L’échantillon de 176 participantes reste modeste pour établir une affirmation aussi audacieuse. Les données autodéclarées comportent inévitablement des imprécisions – qui n’a jamais oublié de noter une date dans l’urgence du quotidien ? Surtout, aucune mesure objective de l’exposition lumineuse individuelle n’a été collectée, alors que c’est précisément le cœur de l’hypothèse.

Claude Gronfier, neurobiologiste spécialiste des rythmes circadiens, pointe cette lacune majeure. Comment affirmer que la lumière est responsable sans avoir mesuré l’exposition réelle des participantes avant et après 2010 ? D’autres facteurs environnementaux – réchauffement climatique, modifications alimentaires, vieillissement des participantes – pourraient tout aussi bien expliquer les variations observées.

Vers une science plus rigoureuse

María de los Ángeles Rol de Lama, directrice du Laboratoire de chronobiologie de Murcie, propose une solution radicale pour trancher définitivement : placer des volontaires dans un environnement totalement contrôlé, isolé de toute lumière artificielle, pendant plusieurs cycles menstruels. Un protocole exigeant mais nécessaire pour séparer les mythes des mécanismes biologiques réels.

Cette rigueur expérimentale fait défaut à l’étude actuelle. Helfrich-Förster admet d’ailleurs ignorer totalement comment une « horloge lunaire » pourrait fonctionner au niveau physiologique, et par quel mécanisme les faibles variations gravitationnelles influenceraient nos tissus.

L’hypothèse d’un lien ancestral entre cycles menstruels et phases lunaires reste donc exactement ce qu’elle était : une possibilité fascinante mais non démontrée. Entre l’intuition populaire et la validation scientifique, le chemin demeure long et semé d’embûches méthodologiques. Nos smartphones ont peut-être changé beaucoup de choses dans nos vies, mais prouver qu’ils ont rompu notre connexion à la Lune nécessitera encore bien des recherches.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.