Même si l’humanité cessait immédiatement toutes ses émissions de gaz à effet de serre, le réchauffement climatique ne s’arrêterait pas instantanément. Pourquoi ? Et quand pourrions-nous espérer une stabilisation des températures ?
Une inertie climatique inévitable
Le système climatique de la Terre fonctionne avec une forte inertie, comparable à un immense paquebot qui ne peut s’arrêter du jour au lendemain. Même si les émissions de gaz à effet de serre (GES) s’arrêtaient aujourd’hui, la température moyenne globale continuerait d’augmenter pendant plusieurs décennies. Cette inertie provient principalement des océans, véritables réservoirs de chaleur.
Depuis les années 1970, les océans ont absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire liée aux activités humaines (GIEC, 2021). Cette chaleur stockée est lentement redistribuée vers l’atmosphère, ce qui provoque une hausse continue des températures même sans nouvelles émissions.
Une étude publiée dans Nature Communications (2020) précise que même en cas d’arrêt total des émissions, la température mondiale continuerait d’augmenter légèrement pendant 10 à 20 ans, à cause de cette chaleur résiduelle contenue dans l’océan.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rappelle que pour espérer stabiliser la température, il faut atteindre des émissions nettes nulles de CO₂. Cela signifie que les émissions doivent être compensées par des puits de carbone naturels ou artificiels. Mais même dans ce scénario idéal, la stabilisation ne sera visible que plusieurs années après.
Cette inertie climatique illustre pourquoi il est crucial d’agir rapidement : plus on attend, plus la quantité de chaleur accumulée augmente, et plus la stabilisation sera difficile à atteindre.
Le rôle du dioxyde de carbone
Le dioxyde de carbone (CO₂) est le principal gaz à effet de serre lié aux activités humaines. Issu essentiellement de la combustion de charbon, pétrole et gaz naturel, il agit comme une couverture thermique qui retient la chaleur émise par la Terre.
Ce qui rend le CO₂ particulièrement problématique, c’est sa longue durée de vie dans l’atmosphère : environ 100 à 1000 ans selon les mécanismes de captation naturels. Une fois émis, il continue donc à influencer le climat sur plusieurs siècles. Par conséquent, la concentration actuelle de CO₂ détermine largement le niveau futur du réchauffement.
Le concept de Zero Emissions Commitment (ZEC), étudié par des chercheurs comme Samset et al. (2020), définit la trajectoire de température à attendre si toutes les émissions anthropiques de CO₂ cessaient instantanément. Cette trajectoire montre une poursuite du réchauffement modérée pendant une à deux décennies, suivie d’une stabilisation (Nature Communications).
Atteindre la neutralité carbone — où les émissions nettes de CO₂ sont nulles — est donc une condition sine qua non pour freiner durablement le changement climatique. Le GIEC insiste sur ce point dans ses rapports : seules des réductions rapides et profondes permettront d’éviter des hausses de température catastrophiques (GIEC, 2021).
L’effet des aérosols
Les aérosols sont des particules fines en suspension dans l’atmosphère, issues principalement de la combustion des énergies fossiles et d’activités industrielles. Contrairement au CO₂, ces particules ont un effet globalement refroidissant car elles réfléchissent une partie du rayonnement solaire vers l’espace, réduisant ainsi la quantité d’énergie absorbée par la Terre.
Cependant, cet effet est temporaire : les aérosols restent dans l’atmosphère quelques jours à quelques semaines, bien moins longtemps que les gaz à effet de serre. Cela signifie que si les émissions de polluants s’arrêtaient brusquement, les concentrations d’aérosols chuteraient rapidement, entraînant une perte soudaine de cet effet refroidissant.
Cette disparition rapide pourrait provoquer une augmentation temporaire des températures, amplifiant momentanément le réchauffement, malgré l’arrêt des émissions de CO₂. Ce phénomène, souvent appelé « effet rebond », a été observé lors de ralentissements économiques ou d’épisodes de confinement, comme durant la pandémie de COVID-19 (Carbon Brief).
C’est pourquoi la gestion des aérosols doit être pensée de manière coordonnée avec la réduction des gaz à effet de serre, pour éviter des fluctuations climatiques brusques.

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Crédits : Olivier Le Moal/istockMontée du niveau de la mer : un phénomène à long terme
Même si la température mondiale venait à se stabiliser, la montée du niveau des mers se poursuivrait pendant plusieurs siècles, voire des millénaires. Ce phénomène est dû à deux facteurs principaux : la fonte progressive des calottes glaciaires (Groenland, Antarctique) et la dilatation thermique des océans, qui se dilatent en se réchauffant.
Une étude de 2013 estime que pour chaque degré Celsius de réchauffement au-dessus des niveaux préindustriels, le niveau moyen des océans pourrait s’élever d’environ 2,3 mètres sur une période de 2000 ans.
Ainsi, même un arrêt immédiat des émissions n’empêcherait pas des centaines d’années d’élévation des eaux, avec des conséquences graves pour les zones côtières, les populations et la biodiversité.
Cette inertie océanique et glaciaire est une des raisons pour lesquelles le changement climatique est souvent comparé à une « dette climatique » que nous léguons aux générations futures.
Stabilisation ne signifie pas retour en arrière
Il est important de comprendre qu’une stabilisation des températures ne signifie pas un retour à la situation climatique d’avant l’ère industrielle. Les impacts déjà en cours — événements extrêmes, pertes de biodiversité, modification des écosystèmes — continueront à se manifester.
Par exemple, les récifs coralliens, très sensibles à la température et à l’acidification des océans, ont déjà subi de lourdes pertes. Ces dégâts ne seront pas inversés immédiatement même si le climat se stabilise.
Cela illustre que la lutte contre le réchauffement doit aussi s’accompagner d’efforts d’adaptation, afin de protéger les populations et les écosystèmes vulnérables.
L’urgence d’agir
Chaque fraction de degré supplémentaire compte. Plus la température moyenne augmente, plus les risques de phénomènes climatiques extrêmes (canicules, inondations, sécheresses) s’intensifient, menaçant la sécurité alimentaire, la santé humaine et les infrastructures.
Le GIEC insiste dans son dernier rapport : pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, il faut des réductions rapides, profondes et durables des émissions. Cela nécessite une transformation radicale des systèmes énergétiques, industriels et agricoles à l’échelle mondiale (IPCC, 2022).
En somme, plus l’action est retardée, plus la température finale sera élevée, et plus les conséquences seront graves et irréversibles.