La virologue Shi Zhengli a identifié et manipulé des dizaines de souches de coronavirus au cours de ces dernières années dans son laboratoire de Wuhan. Selon elle, les spéculations suggérant que le virus responsable du Covid-19 pourrait s’être « échappé » de sa structure sont sans fondements.
Le 30 décembre 2019, alors qu’elle assiste à une conférence à Shanghai, Shi Zhengli reçoit un appel de son patron. De mystérieux échantillons viennent d’arriver à l’Institut de virologie de Wuhan, et d’après les premières analyses, un nouveau coronavirus commence à sévir dans la région. Elle se souvient avoir pensé : « Pourrait-il provenir de notre laboratoire ? »
Une fois sur place, le Dr Zhengli demande à son groupe de séquencer les génomes viraux complets et de répéter les tests, encore et encore. Dans le même temps, elle envoie les échantillons vers une autre installation pour comparer et parcourt frénétiquement les dossiers de son laboratoire pour vérifier toute éventuelle mauvaise manipulation de virus expérimentaux.
La virologue pousse finalement un soupir de soulagement au retour des résultats : aucune des séquences ne correspond à celles des virus que son équipe a échantillonnées. La plus proche ne correspond qu’à 96 %. La différence est trop importante selon les normes virologiques. Elle n’avait pas fermé l’œil depuis des jours, expliquait-elle à Scientific American il y a quelques mois.
Pourtant, plus d’un an et demi plus tard, son laboratoire est toujours au centre des interrogations.
La piste du laboratoire considérée
Longtemps écartée et considérée comme complotiste, la théorie d’un agent pathogène ayant accidentellement fuité d’un laboratoire a récemment regagné en crédibilité suite à la publication d’une lettre, signée d’une vingtaine de chercheurs et publiée dans la revue Science, appelant à considérer sérieusement cette hypothèse.
Un peu plus tard, un article du Wall Street Journal, appuyé sur des documents de renseignement préparés en fin de mandat par l’administration Trump, soulignait que trois laborantins de Wuhan (non nommés) auraient été hospitalisés en novembre 2019, peu avant la flambée de l’épidémie en Chine, pour des symptômes « compatibles à la fois avec Covid-19 et des maladies saisonnières courantes ».
Il y a quelques jours, Joe Biden a également demandé à ses agences de renseignement d’enquêter de manière plus approfondie sur les origines du Covid-19, indiquant que son administration prenait au sérieux la possibilité que le virus se soit accidentellement « échappé » d’un laboratoire.
Qu’on se le dise, la très grande majorité des chercheurs convient qu’il n’y a toujours pas de preuves directes pour étayer cette hypothèse. En revanche, sans enquête approfondie, celle-ci ne peut être complètement écartée. De manière générale, la communauté scientifique en appelle à une totale transparence de la Chine sur le sujet.
Les responsables chinois continuent quant à eux d’adopter une position défensive. « La Chine prend au sérieux le travail de recherche de l’origine avec une attitude responsable et a apporté des contributions positives qui sont largement reconnues », a récemment déclaré Zhao Lijian, un porte-parole du ministère des Affaires étrangères. « Si la partie américaine exige vraiment une enquête totalement transparente, elle devrait suivre l’exemple de la Chine pour inviter les experts de l’OMS aux États-Unis », avait-il ajouté.
«Je n’ai rien fait de mal»
De son côté, le Dr Shi Zhengli continue de nier toute implication dans l’origine du Covid-19. Son laboratoire détenait-il une source du nouveau coronavirus avant que la pandémie n’éclate ? Jointe sur son portable la semaine dernière par le New York Times, sa réponse est un non catégorique.
La virologue en a également profité pour rejeter les informations récentes selon lesquelles trois chercheurs de son institut avaient souffert de symptômes pseudo-grippaux en novembre 2019, avant que les premiers cas de Covid-19 ne soient officiellement signalés. « L’Institut de virologie de Wuhan n’a pas enregistré de tels cas », a-t-elle confirmé au Times. « Si possible, pourriez-vous nous fournir les noms de ces trois personnes pour nous aider à vérifier ?».
Le Dr Shi, décrite par le Dr Robert C. Gallo, de l’Université du Maryland comme une « scientifique stellaire, extrêmement prudente, avec une éthique de travail rigoureuse », avait mis en garde contre les risques d’épidémie de coronavirus, constituant un stock de connaissances sur ces agents pathogènes au cours de ces dernières années. La virologue a également publié certains des premiers articles les plus importants sur le SRAS-CoV-2, sur lesquels les chercheurs du monde entier se sont appuyés.
Alors naturellement, elle est aujourd’hui un peu déconcertée et en colère. Mais elle l’assure : « je n’ai rien fait de mal. Alors je n’ai rien à craindre ».