Un peu, beaucoup, passionnément ou à la folie… Le chocolat compte beaucoup d’adeptes et rares sont les personnes qui résistent à une petite douceur chocolatée au cours de la journée. Toutefois, peu d’amateurs savent que lors de la production, une grande partie des composés de la fève de cacao ne sont pas utilisés et finissent donc gâchés. Avec l’aide de la start-up Koa (spécialisée dans la culture durable du cacao) et de Felchlin (un leader dans la production de chocolat suisse), des scientifiques de l’École polytechnique fédérale de Zurich (en Suisse) ont donc cherché comment utiliser la graine du cacaoyer à son plein potentiel pour rendre la culture des cabosses plus rentable tout en rendant le chocolat encore meilleur.
En quête d’un chocolat meilleur pour la santé et pour la planète
Le chocolat s’obtient traditionnellement à partir des fèves de cacao, d’abord récoltées, fermentées, puis séchées. La torréfaction va ensuite développer leurs arômes et le concassage va permettre de séparer les éclats de cacao de la coque. Le broyage de ces éclats permet alors de produire une pâte de cacao que le fabricant peut presser pour séparer le beurre de cacao de la poudre de cacao. On peut enfin fabriquer le chocolat en mélangeant la pâte de cacao, le beurre de cacao et d’autres ingrédients comme le sucre et le lait, puis en tempérant et en moulant le mélange. Si ce processus est plutôt bien rodé, il n’utilise pas la pulpe et l’endocarpe du fruit que l’industrie considère comme des déchets.
Pour limiter ce gaspillage, les chercheurs ont ici décidé de mieux l’utiliser en transformant les différentes parties de la cabosse en poudre et en mélangeant cela avec de la pulpe afin de former une sorte de gel de cacao. À ce stade de la production, ce gel, très sucré, ne nécessite pas l’ajout de sucre pour retirer l’amertume du chocolat. Toutefois, cela ne suffisait pas à obtenir un chocolat de qualité.
Trop ou pas assez sucré et des problèmes de texture
L’équipe dut alors peaufiner la composition de la recette en laboratoire pour obtenir le goût et la texture recherchée. En effet, extraire trop de jus de la pulpe pouvait rapidement rendre la préparation moins homogène et trop agglutinée, un problème qui ne survient habituellement pas lors de la fabrication du chocolat avec l’ajout de sucre en poudre. A contrario, une utilisation trop légère pouvait rendre le résultat moins sucré et donc moins agréable en bouche. Plusieurs essais furent ainsi nécessaires pour trouver le parfait équilibre entre la bonne texture et une saveur assez sucrée.
Finalement, les scientifiques ont estimé qu’il fallait utiliser 20 % de gel pour obtenir une recette satisfaisante, ce qui donne une douceur équivalente à un chocolat contenant 5 à 10 % de sucre en poudre. À titre de comparaison, du chocolat noir conventionnel en contient entre 30 et 40 %. Ensuite, un panel de goûteurs entraînés de l’Université de sciences appliquées de Bern dut goûter et évaluer des morceaux de 5 g de chocolat, certains à base de sucre en poudre et d’autres issus de cette nouvelle méthode de fabrication à base de gel de cacao. « Cela nous a permis de déterminer empiriquement le pouvoir sucrant de notre recette, exprimé en quantité équivalente de sucre en poudre », explique Kim Mishra, la technologue alimentaire à l’ETH Zurich qui a mené ces travaux.
Plusieurs avantages pour ce nouveau chocolat
Dans leur étude, les chercheurs mettent en avant les différents avantages de cette nouvelle méthode de fabrication prometteuse. Sur le plan santé tout d’abord, le chocolat apporte de base de nombreux minéraux (fer, magnésium et potassium) ainsi que des antioxydants. Toutefois, l’utilisation de la pulpe et de l’endocarpe apporte des bénéfices nutritionnels supplémentaires.
Ainsi, cette recette contient non seulement 30 % de graisses saturées en moins que le chocolat noir européen moyen (23 g pour 100 g de chocolat contre 33 g actuellement), mais apporte également 20 % de fibres alimentaires en plus (15 g contre 12 aujourd’hui). Or, comme l’explique Kim Mishra : « Les fibres sont précieuses d’un point de vue physiologique, car elles régulent naturellement l’activité intestinale et empêchent le taux de sucre dans le sang d’augmenter trop rapidement lors de la consommation de chocolat ».
Des avantages environnementaux et socio-économiques
Surtout, ce nouveau chocolat associé à une meilleure valorisation du fruit pourrait aider à surmonter en grande partie les défis environnementaux et socio-économiques rencontrés traditionnellement tout au long de la chaîne de fabrication. Rappelons en effet que malgré les efforts et initiatives portées à l’échelle mondiale par différentes organisations, la déforestation associée à la culture du cacao reste un problème alarmant. En utilisant non plus seulement 10 % de la cabosse comme actuellement, mais aussi les parties généralement non utilisées (ici la pulpe du fruit et la coque qui représentent jusqu’à 75 % de la cabosse), on rend la production plus rentable pour les agriculteurs tout en gaspillant moins de terres pour l’obtention d’une quantité plus élevée de produit final et avec une meilleure rémunération des producteurs.
Finalement, « la production à grande échelle de ce chocolat pourrait réduire l’utilisation des terres et le potentiel de réchauffement de la planète par rapport à la production européenne moyenne de chocolat noir. Le processus offre également des possibilités de diversification des revenus des agriculteurs et de transfert de technologie, ce qui présente des avantages socio-économiques potentiels pour les régions productrices de cacao », résume l’étude.
Encore des défis à surmonter
Notez néanmoins que ce chocolat amélioré ne va pas arriver tout de suite dans nos commerces. Comme l’explique en effet Kim Mishra à Swiss Science Today : « toute la chaîne de création de valeur devra être adaptée, à commencer par les cultivatrices et cultivateurs de cacao, qui auront besoin d’installations de séchage ». Toutefois, cette nouvelle méthode de fabrication a au moins le mérite d’avoir été inventée. À voir si l’industrie de la chocolaterie saura s’en saisir à l’avenir…