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Rosetta : Retour sur 10 ans d’odyssée spatiale

Crédits : ESA/Rosetta/NAVCAM

Il aura fallu dix ans de manœuvres à la sonde Rosetta, la « maman » de Philaé pour atteindre la comète Tchouri. Une odyssée qui a atteint son point d’orgue le 12 novembre dernier, lorsque le petit atterrisseur a enfin touché le sol après un voyage de près de 6 milliards de kilomètres. Retour sur une Odyssée spatiale débutée 30 ans auparavant.

I. De l’origine à la conception

La mission Rosetta commence dans les années 1980. Le nom Rosetta remonte précisément à 1987. À l’époque, l’idée était de ramener un morceau de comète sur Terre pour l’étudier, en collaboration avec la NASA. Mais l’agence spatiale étasunienne s’est retirée du projet en 1992, faute d’argent, et l’ESA a dû redéfinir les objectifs de la mission, qui consistent à présent à amener un laboratoire sur la comète plutôt qu’une comète dans un laboratoire.

La mission est approuvée en 1993 avec ses objectifs actuels. La conception des principaux instruments est achevée avant l’an 2000. La sonde européenne embarque donc des technologies assez anciennes, mais adaptées aux rudes conditions de l’espace. Les capacités de certains systèmes semblent même risibles par rapport à ce que l’on trouve aujourd’hui dans n’importe quel smartphone. La caméra OSIRIS a une définition d’à peine 1 mégapixel, et le processeur au cœur de l’ordinateur de bord a été introduit… en 1980. Cette puce, malgré ses capacités limitées est d’ailleurs très populaire dans le domaine spatial, et a été entre autres utilisée pour la mission indienne MOM.

La sonde est terminée et prête à être lancée en 2002. Elle aurait dû poser Philaé sur une comète il y a trois ans. La cible était à l’origine 46P/Wirtanen, et le lancement devait avoir lieu en 2003. Mais il a pris du retard, à cause d’un accident au lancement d’Ariane V le 11 décembre 2002, dont le moteur s’est désintégré pendant le vol. C’était la première fois que le moteur Vulcain 2 était utilisé, et il n’était pas acceptable de risquer des centaines de millions d’euros de sonde spatiale avec un lanceur peu fiable. Un échec du lancement à ce point aurait signé la fin de toute la mission. Le lancement a donc été repoussé en 2004, et la comète ciblée a changé, pour être désormais la fameuse 67P/Tchourioumoc-Guérassimenko.

Les immenses panneaux solaires de la sonde Rosetta / ESA
Les immenses panneaux solaires de la sonde Rosetta / Crésits : ESA

II. L’Odyssée spatiale

Le 2 mars 2004, la sonde s’élance enfin. 9 ans de manœuvre en orbite autour du Soleil l’attendent. Car aller sur une comète est bien plus compliqué que d’aller sur une autre planète, qui ont de belles orbites bien rondes autour du Soleil. Les comètes ont au contraire bien souvent des orbites assez allongées, sur lesquelles il faut s’aligner, ce qui demande de faire des modifications importantes dans la vitesse du vaisseau spatial. Il peut bien sûr le faire avec ses moteurs, mais le carburant coute très cher, à cause des limites imposées sur la masse de la sonde.

Plutôt que de dépenser des fortunes pour construire des fusées énormes, les agences spatiales utilisent la physique, et une technique ingénieuse appelée l’assistance gravitationnelle. L’idée est tout simplement de passer derrière une planète, pour lui « voler » un peu de son énergie, et modifier la vitesse de la sonde. De telles manœuvres demandent d’énormes préparations, et un ajustement très précis de la trajectoire du vaisseau, mais c’est ce qu’il y a de moins cher et de plus efficace pour se déplacer dans le Système solaire, mais c’est aussi très long.

Pour atteindre 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, il aura fallu pas moins de quatre assistances gravitationnelles. La première a lieu en 2005, presque exactement 1 an après le lancement. La sonde utilise la Terre pour se propulser vers Mars, qu’elle rencontre en 2007. Pendant la rencontre, elle se retrouve dans l’ombre de la planète rouge, incapable de s’alimenter en électricité et se place en veille pendant le survol à 250 kilomètres de la surface. Heureusement la sonde a pu en profiter pour analyser et photographier l’atmosphère de la planète.

Six mois plus tard, elle rencontre de nouveau la Terre pour sa troisième assistance gravitationnelle. À cette occasion, elle est brièvement rebaptisée  2007 VN84. Elle est en effet détectée par des radars aux sol, et confondue avec un astéroïde en route vers la Terre. La monotonie de son voyage solitaire est rompue à deux reprises par des rencontres avec des astéroïdes, en plus des deux planètes qui lui ont servi de moteur. La première a lieu en 2008, quand elle croise 2867 Šteins, un astéroïde de 2,65 kilomètres de large. En 2010, elle rencontre un autre astéroïde, bien plus gros avec ses 121 kilomètres de longueur, 21 Lutetia.

Lutetia et Šteins ont tous les deux eu droit à leur photo souvenir / ESA
Lutetia et Šteins ont tous les deux eu droit à leur photo souvenir / Crédits : ESA

La séquence la plus critique de la mission commence en mai 2014, quand Rosetta utilise son carburant pour aligner sa trajectoire avec celle de la comète. Il s’agit de faire passer la vitesse relative entre la sonde et 67P/Tchourioumov-Guérassimenko de 2 790 à 28 kilomètres par heure. Si ces vitesses semblent énormes, les moteurs utilisés sont tout petits. Pour freiner la sonde, 4 propulseurs ont été utilisés, capables de développer une poussée de 10 newtons chacun, ce qui correspond à la même force que celle qu’il faut appliquer pour soulever 1 kilogramme sur Terre. Ces poussées faibles sont largement suffisantes dans l’espace, où il n’y a ni frottements ni gravité à combattre. Les manœuvres peuvent ainsi se faire en plusieurs jours.

On commence à avoir une idée de la forme de la comète en Juillet, quand OSIRIS obtient les premières inages. Cette photo a été prise à 12 000 kilomètres de Tchouri / ESA
On commence à avoir une idée de la forme de la comète en Juillet, quand OSIRIS obtient les premières inages.
Cette photo a été prise à 12 000 kilomètres de Tchouri / Crédits : ESA

III. L’atterrissage

Après avoir activé ses moteurs huit fois de suite, Rosetta se place en orbite autour de la comète le 10 septembre. Cinq jours plus tard, l’ESA détermine le site atterrissage pour Philaé. Initialement nommé « site J », il est rebaptisé en Agilikia le 4 novembre, d’après le nom de l’île sur laquelle les temples égyptiens de Philaé ont été déplacés pendant la construction du barrage d’Assouan.

Un seflie cométaire à moins de 16 kilomètres de Tchouri / ESA
Un seflie cométaire à moins de 16 kilomètres de Tchouri / Crédits : ESA

Le 12 novembre, le grand jour. L’atterrisseur Philaé, qui a voyagé sous le ventre de la sonde Rosetta pendant dix années est prêt à commencer sa descente vers la surface de la comète. Il se détache de sa maman à 8:35 UTC, et effectue toute sa descente sans moteurs, ayant été placé sur sa trajectoire par Rosetta. Sept heures plus tard, le petit atterrisseur rentre en contact avec la comète à une vitesse de 3 kilomètres par heure. Il rebondit alors à cause d’une double malfonction dans les systèmes qui devaient lui permettre de rester fermement accroché sur le dos de Tchouri. Le premier qui devait se déclencher était un moteur, censé plaquer Philaé au sol, pour éviter un rebond. Il s’est avéré ne pas être fonctionnel juste avant la séparation avec Rosetta. Le deuxième était un ensemble de harpons, qui devaient se planter dans la comète pour le maintenir en place.

À cause de la très faible gravité à la surface de la comète, il est très facile de rebondir à de très grandes hauteurs. Un humain pourrait même se placer en orbite en s’élançant d’un point élevé. Le défi de l’atterrissage n’est dans ce cas pas de se poser à la surface sans arriver trop vite, mais bien de rester sur cette surface sans être projeté de nouveau dans l’espace.

Philaé a en quelque sorte échoué, avec ses trois rebonds successifs, qui l’ont amené à plusieurs centaines de mètres de là où il devait initialement se poser. Cet imprévu place le petit atterrisseur dans l’ombre de rochers qui l’empêchent de profiter de la lumière du soleil, et donc de recharger ses batteries. Après trois jours de collecte de données, qu’il a renvoyées vers Rosetta, la sonde lui servant de relai vers la Terre, ses batteries se retrouvent à plat. Il s’éteint le 15 novembre 2014.

Les scientifiques de l’ESA sont encore en train d’analyser les données qu’il a récoltées. Elles ont déjà révélé que les océans terrestres n’ont probablement pas été créés uniquement par les impacts cométaires. La fin de mission pour Rosetta est prévue pour décembre 2015. Dans les faits, la sonde continuera d’opérer tant qu’elle sera en état de marche et qu’il restera des résultats scientifiques intéressants à obtenir.

Vue de la comète Tchouri le 3 janvier dernier / ESA/Rosetta/NAVCAM
Vue de la comète Tchouri le 3 janvier dernier // Crédits : ESA/Rosetta/NAVCAM
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