Retour sur ‘Godzilla’, le nuage de poussière record qui a traversé l’Atlantique en juin 2020

Vue satellite du panache de poussières le 18 juin 2020. Crédits : NASA.

De nouveaux travaux font le point sur les processus impliqués dans la survenue du panache de poussière record qui a traversé l’Atlantique tropical l’été dernier. Les résultats sont récemment parus dans la revue scientifique BAMS.

Du 14 au 28 juin 2020, au début de ce qui allait devenir une saison des ouragans exceptionnelle pour l’Atlantique nord, un vaste nuage de sable traversa le bassin océanique, depuis le Sahara jusqu’aux États-Unis, en passant par de nombreuses îles et archipels. Assombrissant le ciel sur son trajet, le phénomène fut si prononcé que les médias lui donnèrent le surnom de Godzilla. Aussi, pendant près de deux semaines, ce géant de poussière fit régulièrement parler de lui outre-Atlantique.

Transport de sable : comme un air de course de relais

Des scientifiques se sont récemment penchés sur les mécanismes impliqués dans la survenue d’un tel panache. Car si des nuages de sable se détachent régulièrement d’Afrique saharienne en saison chaude, il faut reconnaître que Godzilla se démarque très nettement de par ses dimensions extravagantes. Un évènement record qui a considérablement dégradé la qualité de l’air à son passage, perturbant le trafic aérien et menaçant la santé des personnes les plus fragiles.

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Concentration en aérosols désertiques (échelle en base à gauche) et qualité de l’air (échelle en bas à droite) entre le 14 et 28 juin 2020. On devine très facilement la propagation du panache de poussière depuis l’Afrique du nord vers le sud-est des États-Unis. Crédits : Bing Pu & Qinjian Jin, 2021.

Avec l’aide de simulations numériques, l’étude rétrospective des observations satellitaires montre que le phénomène résulte d’un combo entre un soulèvement massif de poussière au-dessus du Sahara et une configuration atmosphérique optimale pour un transport subséquent vers l’ouest. De forts vents de surface et une végétation réduite à l’ouest du Sahel ayant alimenté le nuage de sable à plusieurs reprises.

« Notre étude révèle qu’il s’agissait principalement de trois systèmes différents » détaille Bing Pu, auteure principale du papier. « Le jet d’est africain exporte la poussière africaine vers l’Atlantique. Ensuite, l’anticyclone des Açores, un système de haute pression situé au-dessus de l’Atlantique nord subtropical, peut la transporter encore davantage vers les Caraïbes. Une fois que la poussière atteint cette région, le jet de basse couche des Caraïbes – c’est un autre système – en association avec l’anticyclone subtropical peuvent finalement transporter la poussière de la région des Caraïbes vers les États-Unis ». Une mécanique bien huilée qui s’apparente à une course de relais.

Vers des panaches de poussière plus massifs ?

Une question qui se pose naturellement est de savoir si de tels épisodes pourraient devenir plus fréquents avec le dérèglement climatique. « Quelques observations montrent qu’il y a une réduction des précipitations en Afrique de l’Ouest au cours du 20e siècle, ce qui indique que l’assèchement y entraînerait plus d’émissions de poussière » indique Bing Pu.

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Magnitude (couleurs) et durée (taille de la pastille) des évènements de panaches sahariens entre 2003 et 2020 dans l’Atlantique nord tropical. Notez comment l’évènement de juin 2020 (pastille orange) se détache des précédents. Crédits : Bing Pu & Qinjian Jin, 2021.

Toutefois, les résultats des modèles au sujet de l’évolution future des sécheresses sahéliennes diffèrent fortement les uns des autres. Par ailleurs, même dans le cas où l’émission de poussière irait en augmentant, cela ne nous dit pas si les panaches en tant que tels deviendront plus fréquents et/ou intenses. Encore faut-il que la situation atmosphérique soit favorable à un transport efficace de la région source vers le grand large.

« En plus de comprendre le processus d’émission dans les régions sources, nous devons également examiner les variations de circulation qui nous aident à mieux appréhender ce transport de poussière à distance, ainsi que ses impacts environnementaux et climatiques aux États-Unis » précise Bing Pu. «  D’autres régions peuvent également être affectées car la poussière africaine peut être transportée vers l’Amérique du Sud ainsi que vers l’Europe et la région méditerranéenne ».

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