La mission Mars Sample Return (MSR), l’un des projets les plus ambitieux jamais envisagés par la NASA, pourrait ne jamais voir le jour. Rattrapée par des réalités budgétaires et des priorités politiques changeantes, la mission est aujourd’hui à la croisée des chemins. Mais un nouveau scénario pourrait redonner espoir : Lockheed Martin, géant de l’aérospatiale, propose une version simplifiée et deux fois moins chère du projet, avec l’ambition de ramener sur Terre les précieux échantillons martiens collectés par le rover Perseverance.
Une mission scientifique au bord du gouffre
Conçue comme une collaboration internationale de grande envergure, la mission MSR visait à collecter et rapporter des échantillons de roches martiennes pour les analyser dans des laboratoires terrestres. Objectif : comprendre la géologie de Mars, reconstituer son passé hydrologique, et peut-être détecter des traces de vie ancienne.
Le rover Perseverance, actuellement à l’œuvre sur Mars, joue le rôle du collecteur. Il fore, prélève, et stocke les échantillons dans des tubes qu’il dépose méthodiquement sur la surface. La suite du plan consistait à envoyer un autre atterrisseur, muni d’un rover secondaire, pour récupérer ces tubes. Une petite fusée – le Mars Ascent Vehicle (MAV) – les mettrait ensuite en orbite martienne, où un troisième engin orbital les intercepterait et les ramènerait vers la Terre.
Mais ce plan, d’une complexité technologique inédite, a rapidement vu son coût exploser. Estimé à plus de 7 milliards de dollars, il est désormais dans le viseur des coupes budgétaires imposées par l’administration américaine. L’abandon de la participation russe, en raison de la guerre en Ukraine, a fragilisé encore davantage l’équilibre du programme. En parallèle, la NASA a reçu l’ordre de recentrer ses efforts sur les vols habités vers la Lune et Mars, reléguant certains projets robotiques au second plan.
Lockheed Martin entre en scène
Dans ce contexte incertain, Lockheed Martin propose un plan radicalement différent : une version simplifiée du MSR, reposant sur des technologies éprouvées et un coût divisé par deux. Son idée ? S’appuyer sur ses 50 années d’expérience dans l’exploration planétaire pour réimaginer la mission autour de composants plus légers, plus petits et donc beaucoup moins coûteux à lancer.
Plutôt que de réinventer des engins complexes, Lockheed propose de réutiliser une architecture similaire à celle du module InSight – qu’elle a déjà construit pour Mars – comme base de l’atterrisseur. La fusée MAV serait redimensionnée pour peser entre 250 et 300 kg, capable de transporter environ 5 kg d’échantillons martiens, soit la quantité actuellement collectée par Perseverance.
Le système de rentrée atmosphérique – qui doit ramener les échantillons sur Terre sans les contaminer ni les perdre – serait lui aussi revu à la baisse. Inspiré des missions de retour de matériaux interstellaires (Genesis, Stardust, OSIRIS-REx), il utiliserait des matériaux composites et un bouclier thermique ultra-léger, conçu spécifiquement pour la rentrée depuis l’orbite martienne.
Enfin, Lockheed se chargerait également de l’étage de croisière chargé d’acheminer l’ensemble jusqu’à Mars, en intégrant les fonctions de navigation, propulsion et alimentation. Autre avantage majeur de la proposition : le contrat serait à prix fixe, avec Lockheed absorbant tout dépassement de coûts, un argument fort dans un contexte de forte pression sur les finances publiques.

Entre ambition scientifique et pragmatisme budgétaire
Ce nouveau plan ne fait pas l’unanimité. Certains scientifiques craignent que cette version « minimaliste » ne compromette la quantité ou la qualité des échantillons rapportés, voire la fiabilité de la mission elle-même. D’autres y voient au contraire une manière réaliste de sauver l’essentiel d’un projet qui risquait tout simplement d’être annulé.
Lockheed Martin, de son côté, assure pouvoir respecter à la fois les contraintes techniques, les exigences de sécurité (notamment la stérilité de la capsule de retour pour éviter toute contamination interplanétaire), et les délais serrés qui permettraient de profiter des fenêtres de tir vers Mars prévues dans la seconde moitié de la décennie.
Selon Whitley Poyser, directeur de l’exploration spatiale lointaine chez Lockheed Martin, « MSR reste l’une des missions les plus précieuses jamais envisagées pour la science planétaire. Et grâce à notre savoir-faire, nous sommes convaincus de pouvoir la mener à bien dans les limites d’un budget responsable. »
Un tournant pour l’exploration martienne ?
À travers cette proposition, c’est toute une philosophie de l’exploration spatiale qui est en jeu. Faut-il maintenir des projets ambitieux coûte que coûte, au risque de les voir sabordés ? Ou vaut-il mieux les adapter à la réalité budgétaire, quitte à réduire leur portée scientifique initiale ?
Dans le cas de Mars Sample Return, la réponse viendra sans doute dans les prochains mois, lorsque la NASA rendra publique sa décision finale. Quoi qu’il en soit, le sort de cette mission historique est désormais entre les mains des décideurs, tiraillés entre rêve martien et rigueur financière.
