Crédits : Liubomyr Vorona/Istock

Respirer par les fesses pourrait bientôt sauver des millions de vies (et c’est moins fou qu’il n’y paraît)

L’idée paraît absurde, voire grotesque. Pourtant, des chercheurs japonais viennent de réussir le premier essai clinique d’une technique révolutionnaire qui pourrait transformer la prise en charge des insuffisances respiratoires : oxygéner le sang par voie rectale. Inspirée par des tortues australiennes capables de respirer par leur cloaque, cette approche audacieuse franchit aujourd’hui une étape décisive avec des résultats prometteurs sur l’humain. Bienvenue dans l’ère de la ventilation entérale.

Quand la nature australienne inspire la médecine moderne

L’Australie regorge de curiosités biologiques, mais peu sont aussi fascinantes que certaines tortues locales dotées d’une capacité étonnante. Pour éviter de remonter constamment à la surface et s’exposer aux prédateurs, ces reptiles ont développé un système ingénieux : leur cloaque extrait l’oxygène dissous dans l’eau, fonctionnant comme des branchies anales. Cette adaptation leur permet de couvrir jusqu’à 80% de leurs besoins en oxygène sans jamais quitter les profondeurs.

Cette observation, aussi insolite soit-elle, a interpellé le Dr Takanori Takebe de l’Institut des Sciences de Tokyo. Face aux limites des respirateurs artificiels et aux souffrances des patients atteints d’insuffisances respiratoires, il a osé poser une question dérangeante : si les nutriments passent de l’intestin au sang, pourquoi pas l’oxygène ? Ses travaux lui ont d’ailleurs valu le prix Ig Nobel de physiologie 2024, récompensant les recherches qui font d’abord rire, puis réfléchir.

Un liquide miraculeux qui change tout

Contrairement aux tortues qui respirent directement l’oxygène dissous dans l’eau, le métabolisme humain exige une approche plus sophistiquée. L’équipe de Takebe a développé une solution basée sur la perfluorodécaline, un liquide aux propriétés extraordinaires. Cette substance peut contenir 40 à 50 fois plus d’oxygène que l’eau ordinaire et environ deux fois plus que le sang humain, tout en libérant facilement ses molécules d’oxygène.

Le principe est élégant dans sa simplicité : ce liquide hyperoxygéné est administré par voie rectale, puis absorbé progressivement par le côlon. L’oxygène passe alors directement dans la circulation sanguine, contournant entièrement les poumons défaillants. Cette technique nécessite moins d’équipement technologique qu’un respirateur artificiel et pourrait donc s’avérer accessible dans les régions isolées ou aux ressources limitées.

Un essai clinique concluant malgré les obstacles

Convaincre 27 volontaires sains de participer à un tel protocole n’était probablement pas la tâche la plus simple pour les chercheurs japonais. Pourtant, ces hommes ont accepté de recevoir jusqu’à 1,5 litre de perfluorodécaline par voie rectale et de la retenir pendant 60 minutes. À ce stade, le liquide ne contenait pas encore d’oxygène, l’objectif étant uniquement de vérifier la sécurité et la tolérance du procédé.

Les résultats, publiés dans la revue Med, se sont révélés encourageants : 20 participants sur 27 ont atteint l’objectif des 60 minutes. Certains ont signalé une gêne abdominale et des ballonnements, particulièrement ceux ayant reçu les volumes les plus importants, mais aucun effet secondaire grave n’a été observé. Fait notable, l’inconfort semblait corrélé à l’absence de défécation dans les 24 heures précédentes, suggérant qu’une préparation intestinale pourrait améliorer le confort des futurs patients.

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Les gens n’ont pas encore respiré par les fesses, mais l’étude a montré que le liquide porteur est sûr, ce qui constitue un premier pas.
Crédit image : Hôpital pour enfants de Cincinnati, Med

Des perspectives qui dépassent la simple curiosité scientifique

Comme le souligne Takebe lui-même, ces premiers résultats ne démontrent que la sécurité de la procédure, pas encore son efficacité thérapeutique. Les prochaines étapes consisteront à tester le liquide oxygéné sur des volontaires sains, puis sur des patients réellement en détresse respiratoire.

Les enjeux dépassent largement la simple prouesse technique. Aux États-Unis seulement, 1,5 million d’adultes gravement malades subissent chaque année une intubation trachéale, et 10 à 20% d’entre eux souffrent de niveaux d’oxygène dramatiquement bas. Les respirateurs artificiels, bien qu’indispensables, peuvent provoquer des lésions pulmonaires aux conséquences durables. La ventilation entérale offrirait une alternative moins traumatisante.

L’équipe japonaise espère particulièrement pouvoir aider les nouveau-nés dont les poumons ne fonctionnent pas encore correctement, une situation clinique où chaque minute compte et où les options thérapeutiques restent limitées.

Les défis du financement et de la perception publique

Takebe profite de l’attention médiatique, oscillant entre fascination et amusement, pour rechercher activement des financements. Les essais cliniques représentent des investissements considérables, et convaincre des investisseurs de miser sur la « respiration par les fesses » constitue un défi marketing peu ordinaire.

Le chercheur espère néanmoins que les prochains résultats permettront d’accélérer la cadence. D’ici là, on ne peut que saluer l’audace d’une équipe qui n’a pas hésité à explorer une piste jugée initialement risible, mais qui pourrait bien révolutionner la médecine d’urgence respiratoire dans les décennies à venir.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.