Opérer un animal sauvage est toujours un défi. Mais lorsqu’il s’agit d’un mammifère marin de plus de 450 kilos, habitué à évoluer dans l’eau et doté d’une physiologie unique, le défi devient une véritable opération de haute voltige. C’est pourtant ce qu’a accompli une équipe de spécialistes à l’aquarium Shedd de Chicago, en réalisant avec succès une chirurgie inédite sur un béluga nommé Kimalu. Elle est aujourd’hui la première représentante de son espèce connue à s’être réveillée après une anesthésie générale. Un exploit scientifique, mais aussi un événement riche d’enseignements pour le monde vétérinaire.
Un cas médical détecté précocement
Kimalu n’est pas un animal anonyme. Née et élevée à l’aquarium Shedd, elle est suivie quotidiennement par des soigneurs expérimentés qui connaissent ses moindres habitudes. C’est cette proximité qui a permis de détecter rapidement des signaux inhabituels dans son comportement. Après plusieurs examens préliminaires, l’équipe vétérinaire a opté pour une imagerie plus poussée : un scanner. L’opération, déjà complexe pour un humain, l’est encore plus pour un cétacé de plusieurs centaines de kilos.
Le verdict est sans appel : plusieurs kystes sont présents sur le dessus de sa tête, une zone sensible appelée le « melon », utilisée pour l’écholocalisation. Pour en comprendre la nature et soulager l’animal, la seule solution était chirurgicale.
Anesthésier un cétacé : quand la médecine invente en marchant
Problème majeur : aucun protocole n’existe pour l’anesthésie générale d’un béluga. En l’absence de références médicales, l’équipe a dû bâtir la procédure de toutes pièces. Pas à pas, elle a combiné une connaissance fine de Kimalu, l’expérience de ses vétérinaires, et l’expertise d’un réseau élargi de chirurgiens, vétérinaires marins et anesthésistes humains. Au total, une trentaine de professionnels ont été mobilisés pour planifier et exécuter cette opération aux marges du possible.
Durant l’intervention, chaque instant comptait. Le melon du béluga étant une structure grasse et délicate, la moindre erreur pouvait mettre en péril l’intégrité cognitive ou sensorielle de l’animal. Mais le plus grand risque restait l’anesthésie elle-même : personne ne savait si un béluga pouvait s’en réveiller.

Une renaissance sous surveillance
Contre toute attente, Kimalu s’est réveillée. Pour accompagner son retour à l’éveil, les soigneurs ont diffusé les sons familiers du groupe de bélugas de l’aquarium, recréant un environnement apaisant. L’animal a ensuite été transféré dans un espace de convalescence spécialement aménagé pour sa récupération.
Le rétablissement de Kimalu est en cours, et bien que le pronostic reste prudent, les premiers signes sont encourageants. L’opération a en tout cas permis de soulager une source probable de gêne, voire de douleur chronique. Elle ouvre aussi une nouvelle ère pour la médecine vétérinaire des espèces marines.
Cette opération restera comme un jalon important dans l’histoire de la médecine animale. En combinant rigueur scientifique, audace technique et respect profond de l’animal, l’équipe du Shedd Aquarium a franchi une frontière jusque-là inexplorée. Kimalu, elle, est devenue malgré elle une pionnière — une ambassadrice silencieuse du lien entre progrès scientifique et bien-être animal.
