La récupération de la couche d’ozone sera retardée d’au moins trente ans par des fuites chimiques selon une nouvelle étude prenant en compte un composé jusqu’alors ignoré.
Le trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique, en grande partie provoqué par des activités humaines, est en train de se résorber selon un article publié le 30 juin 2016 dans la revue américaine Science. Alors que les experts estiment aujourd’hui que ce trou pourrait être « rebouché » d’ici 2050 à 2065, une analyse récente des composés chimiques présents dans l’atmosphère suggère que cette récupération pourrait être retardée d’au moins trente ans, principalement à cause d’une substance jusqu’alors ignorée par les régulateurs de l’environnement.
Ironiquement, le dichlorométhane (ou chlorure de méthylène) est aujourd’hui utilisé pour fabriquer des produits chimiques « compatibles avec l’ozone » pour les climatiseurs et les réfrigérateurs. « Étant donné que les émissions dans l’ozone de chlorofluorocarbures et d’autres composés de chlore sont freinées dans le cadre du Protocole de Montréal signé en mars 1985, les émissions de dichlorométhane ont de leur côté augmenté », explique Ryan Hossaini, de l’Université de Lancaster au Royaume-Uni. Il y aurait à ce jour plus d’un million de tonnes de dichlorométhane diffusées par an dans l’atmosphère et les concentrations de dans la basse atmosphère ont doublé depuis 2004 selon les dernières estimations.
Ce produit chimique, un gaz volatil, est principalement utilisé comme solvant industriel et décapant de peinture. La croissance récente de ses émissions (résultant soit des fuites de production, soit d’une évacuation délibérée) est particulièrement liée à son rôle croissant dans la fabrication d’un hydrofluorocarbone appelé HFC-32, un remplacement largement utilisé pour les chlorofluorocarbures (CFC). Une fois dans l’atmosphère, le dichlorométhane a une durée de vie moyenne d’environ cinq mois avant qu’il ne se décompose, libérant alors du chlore qui peut altérer l’ozone stratosphérique. Le dichlorométhane fut jusqu’à présent largement sous-estimé en raison de sa durée de vie de cinq mois jugée trop courte pour lui permettre d’atteindre de telles altitudes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’a pas été contrôlé par des traités internationaux.
Hossaini et son équipe ont récemment compris que c’était une erreur d’appréciation en modelant l’impact probable d’une augmentation continue des émissions de dichlorométhane. En 2050, ils estiment ce composé pourrait alors « représenter près d’un quart de l’ensemble du chlore dans la stratosphère inférieure ». Le chiffre actuel est inférieur à 1 %. Les prévisions actuelles, qui prédisent un rétablissement complet de la couche d’ozone vers 2065, ignorent le dichlorométhane. Si ces émissions sont incluses et si elles continuent d’augmenter au rythme observé depuis 2004, le trou ne sera pas « bouché » avant au moins 2095, soit au moins trente ans plus tard.
L’étude ne vise pas ici pointer du doigt des responsables. Elle pointe en revanche la fabrication de systèmes de réfrigération en Asie. « L’analyse des échantillons d’air prélevés par les avions commerciaux au bord inférieur de la stratosphère montre notamment des taux élevés de dichlorométhane au-dessus du sous-continent indien et de l’Asie du Sud-Est, principalement “pendant la mousson asiatique” », note Emma Leedham Elvidge, de l’Université d’East Anglia au Royaume-Uni. Ceci est dû en partie que la mousson permet aux produits chimiques d’atteindre la haute atmosphère plus rapidement avant qu’ils n’aient le temps de se décomposer. « Nos résultats montrent que les émissions du sous-continent indien ont augmenté de deux à quatre fois en une décennie », a-t-elle déclaré.
Selon Hossaini, il est probable que d’autres sources de chlore produites par l’homme puissent retarder la récupération de la couche d’ozone. Il pense notamment au 1,2— dichlorométhane, aussi connu sous son ancien nom, le dichlorure d’éthylène utilisé dans la fabrication du PVC. « Les mesures atmosphériques à long terme de ce composé ne sont pas disponibles à l’heure actuelle », dit-il. « Mais les données sporadiques suggèrent que c’est une source importante de chlore dans l’atmosphère ».