Malgré leur mauvaise réputation, les rats sont des animaux intelligents avec des compétences cognitives remarquables, capables de s’adapter et de survivre dans divers environnements. Plusieurs études scientifiques ont en effet démontré que les rats possèdent des capacités cognitives avancées (excellente mémoire, apprentissage rapide, imagination…) qui leur permettent notamment de réaliser diverses tâches difficiles (labyrinthes, résolution de problèmes, etc.). Leurs rapports sont également régis par des structures sociales complexes au sein desquels ils peuvent faire preuve d’empathie et utiliser des modes de communication variés et sophistiqués (vocalisations ultrasonores et signaux chimiques) pour communiquer entre eux.
Et d’après une nouvelle recherche publiée le 29 mai 2024 dans la revue Open Science de la Royal Society, ces rongeurs mal-aimés auraient aussi… une bonne oreille musicale.
La perception des octaves : un exercice facile pour les rats
Pour ces travaux menés par des scientifiques de l’Institut de recherche acoustique de l’Académie autrichienne des sciences, quarante rats (Rattus norvegicus) ont été habitués à écouter dans le désordre quatre notes sur la même octave (ici Mi, Fa, Fa dièse et Sol). Les rongeurs recevaient une pastille sucrée après chaque écoute aléatoire.
Ces exercices se sont poursuivis pendant vingt jours avant de passer à la phase de test, plus corsée. Cette fois, les notes étaient jouées dans une gamme plus haute de deux octaves. Sur une série de six notes, trois seulement correspondaient exactement à celles entendues au cours de la phase d’habituation, ce qui poussait les rongeurs à tourner distinctement la tête lorsqu’ils écoutaient ces nouvelles notes. Par ailleurs, lorsque se jouaient des notes intruses, ils ne cherchaient pas à obtenir leur récompense. En revanche, ils cherchaient bel et bien à en avoir une lorsque les notes étaient similaires à celles entendues, mais deux octaves en dessous.
Qu’est-ce que cela nous apprend sur les rats ?
Leurs réactions aux différentes notes ont permis aux chercheurs de conclure que ces animaux étaient capables de repérer les notes intruses et de faire clairement la distinction avec les notes auxquelles ils avaient été habitués. Cela n’est pas sans rappeler une expérience menée en 1984 lors de laquelle de jeunes enfants étaient capables de remarquer instinctivement l’introduction de nouvelles notes dans une série mélodique jouée initialement plus haut ou plus bas. Depuis, on sait que cette capacité chez l’humain repose sur une base neuronale. « Il semble que le cerveau soit organisé d’une façon permettant de prendre en compte les octaves », résume ainsi la Dre Marisa Hoeschele, la directrice du groupe de biologie à l’institut autrichien qui a co-signé cette nouvelle étude sur les rongeurs.
Ces travaux récents permettent ainsi de conclure que chez le rat, « le phénomène d’équivalence d’octave advient naturellement », le tout sans nécessiter une exposition initiale à de la musique ni même un entraînement particulier. Les rats rejoignent ainsi l’humain, le dauphin et le macaque rhésus au rang des mammifères capables de percevoir l’équivalence de notes sur plusieurs octaves.
Quelles sont les implications de ces recherches ?
L’aptitude observée par cette étude chez les rats, qui s’appelle l’équivalence d’octave, est essentielle dans le langage humain. Elle nous permet en effet de comprendre et reproduire des sons plus ou moins graves ou aigus. À titre d’exemple, lors de l’apprentissage du langage, les tout-petits se basent beaucoup sur la répétition et l’imitation des mots énoncés par les adultes. Toutefois, ces derniers ont une voix trop grave pour leurs jeunes cordes vocales. Malgré cet obstacle, les enfants peuvent avec succès transposer le son entendu une octave plus haute.
L’étude de la capacité à percevoir l’équivalence d’octave s’impose alors comme un sujet de recherche passionnant, car ces observations suggèrent que cela permettrait d’aider à développer le langage et permettrait aussi aux humains de chanter en chœur, même si d’autres études seront nécessaires pour en comprendre tous les mécanismes sous-jacents.
Chez les rats et d’autres animaux…
Cette étude démontre ainsi que d’autres mammifères en sont naturellement capables également. « Quand d’autres espèces vocalisent, elles produisent aussi des informations harmoniques, des informations incluant l’octave », explique la Dre Marisa Hoeschele. Et lorsque les différents individus d’une même espèce ont des vocalises qui s’étendent sur plusieurs octaves, cette capacité de structure harmonique s’impose comme essentielle pour optimiser la communication. « Il pourrait être important de reconnaître que c’est la même chose, même si le ton est différent », estime la chercheuse.
Reste à savoir à présent si d’autres animaux en sont également capables. En utilisant le même protocole chez deux espèces d’oiseaux, la scientifique et son équipe n’ont pas réussi à obtenir des résultats probants. Ils comptent toutefois continuer à creuser, arguant notamment que leur capacité à produire et apprendre des chants sera de toute façon beaucoup plus difficile à déchiffrer qu’ici la faculté du rat à percevoir une équivalence d’octave.
Retrouvez l’étude ici.