Qu’est-ce que la biomécanique ? Entretien avec un ingénieur

Crédits : Simon Fraser University Wikipedia

La biomécanique est l’analyse des propriétés mécaniques d’un être vivant. Principalement, elle permet d’étudier tous les mouvements du corps humain, les tissus composant le mouvement et leur propriété mécanique, afin d’en percer tous les mystères. Plus précisément, elle étudie le système neuro-musculo-squelettique (interactions neurones, muscles, squelette).

Cette discipline est d’un grand intérêt pour toutes les personnes blessées ou celles qui ont des problèmes de motricité. La biomécanique étudie l’humain, mais elle peut aussi travailler étroitement avec la robotique. En effet, qui de mieux qu’un biomécanicien pour mettre en œuvre des techniques permettant aux robots de se mouvoir ?

Cette discipline paraît essentielle dans le monde d’aujourd’hui, et semble prometteuse pour l’avenir. Mais alors pourquoi peu de personnes la connaissent ? Aujourd’hui, SciencePost vous en fait découvrir un peu plus avec Grégoire Aldebert, ingénieur en génie biologique spécialité biomécanique, et possédant un Master recherche en biomécanique et bio-ingénierie. Il a déjà eu l’occasion de travailler sur des projets de recherche à Chicago, à Londres et en France.

Bonjour Monsieur Aldebert, vous avez déjà travaillé en laboratoire de recherche en biomécanique, qu’est-ce qui vous attire dans cette discipline ?

Grégoire Aldebert : J’ai toujours été attiré par les problèmes mécaniques de construction. Le système le plus complexe, c’est le corps humain. Par exemple, le genou peut paraître assez simple quand on le voit et on le pense généralement avec une articulation permettant la flexion et l’extension du tibia. Mais en réalité, il est composé de 3 articulations qui permettent des mouvements plus complexes et plus optimisés. Tout le système musculo-squelettique est parfaitement harmonieux, de la composition des tissus à leur organisation structurelle. Un des points impressionnants est la faculté d’adaptation des tissus. Par exemple, un os brisé pourra refusionner ! Un impact, une maladie ou un accident sur ce système diminue fortement la capacité de la personne dans ses mouvements et impacte toutes ses activités quotidiennes, et, comprendre ces mécanismes permettrait de trouver des traitements plus performants afin de rendre la mobilité au patient. Une des principales difficultés du corps humain est que l’on traite un système dans son ensemble : si par exemple on modifie l’articulation du genou, tout notre corps peut en être affecté. Pour conclure, mon intérêt dans cette discipline est la compréhension du corps humain, permettant de travailler concrètement à améliorer la condition de vie des patients.

La biomécanique est elle une discipline récente ?

G. A. : Non, car depuis toujours l’Homme a étudié le squelette. Un des premiers biomécaniciens serait Léonard de Vinci et son « homme de Vitruve » par exemple. Et dans la culture populaire, tout le monde connaît la jambe bois des pirates par exemple… En revanche, avec les techniques médicales actuelles et la modélisation informatique récente, de nombreuses avancées techniques et scientifiques sont désormais possibles dans la biomécanique.

homme de vitruve léonard de vinci
Homme de Vitruve
Crédits : Ortuns/Wikipedia

Aujourd’hui, la biomécanique prend peu à peu plus de place dans les travaux scientifiques, mais elle n’est pas vraiment connue du grand public, qu’est-ce qui explique un tel effacement par rapport aux autres disciplines ?

G. A. : La discipline est plutôt connue, mais peu de monde met un mot dessus. On parle très souvent d’organe artificiel, de nouvelles prothèses, de chirurgie orthopédique dans le sport notamment, et toutes ces disciplines sont étudiées dans la biomécanique. La difficulté de ce domaine est qu’il nécessite de solides bases en mécanique, physique et informatique, mais aussi en biologie, puisque c’est un domaine intégrant la médecine et l’ingénierie.

Quelle est votre spécialité en biomécanique, sur quoi avez-vous travaillé  ?

G. A. : À travers mon parcours, j’ai eu la chance de travailler dans plusieurs domaines de la biomécanique, je peux vous en citer quelques-uns.

Dans un premier temps, j’ai fait de la biotribologie, qui est en bref l’étude des contacts incluant entre autres, frottements et lubrification appliquée au corps humain – notamment aux articulations – dans le but de développer de nouveaux implants qui miment au plus proche la fonction originale de l’articulation en termes d’usure, de dégradation, d’intégration dans les tissus, de solidité et ainsi de suite.

Ensuite, j’ai eu l’occasion de faire de la microfluidique, qui est une branche de la mécanique des fluides. Cette technique permet de modéliser des écoulements de fluides dans des microsystèmes qui reproduisent les écoulements corporels du corps humain. L’idée derrière cette technique est de développer de nouvelles applications médicales, comme par exemple, étudier les échanges médicamenteux ou encore les comportements des tissus vasculaires.

La dernière spécialité dans laquelle je me spécialise est la capture de mouvements. En utilisant un set de caméra et des capteurs réfléchissants sur un individu, on peut reconstruire via un logiciel informatique les mouvements de la personne. On utilise le même type de système que pour les effets spéciaux dans les films de science-fiction par exemple. En modélisant les mouvements d’une personne, on peut ensuite étudier l’impact d’un acte chirurgical sur le mouvement, les prothèses ou les maladies musculo-squelettiques. Cela peut ainsi permettre de prévenir des déformations, d’améliorer les techniques médicales et de développer de nouvelles prothèses. L’intérêt de la modélisation c’est qu’on étudie la personne, et que l’on cherche à trouver des solutions qui lui sont vraiment spécifiques. Cette technique est aussi utilisée dans le sport, pour améliorer les performances des athlètes et améliorer les équipements sportifs en observant la qualité des mouvements, et en trouvant le meilleur rendement de puissance.

Pouvez-vous nous donner des applications/réponses concrètes apportées par la biomécanique ?

G. A. : Toutes les prothèses ! Par exemple, les prothèses de membres tels que bras bionique ainsi que leur contrôle par le patient, les prothèses internes telles que les prothèses totales de hanches, les orthèses comme les attelles. On peut aussi citer le développement de nouveaux outils chirurgicaux permettant une meilleure précision et un acte chirurgical moins invasif tel que l’endoscopie, qui nécessite l’étude des matériaux et de la biocompatibilité de ceux-ci. Comme vous le comprenez, de très nombreuses applications médicales sont liées et développées par la biomécanique. Un des enjeux majeurs de la recherche médicale est de pouvoir trouver des solutions spécifiques au patient, en modélisant son système, et donc en trouvant le meilleur traitement possible à son problème.

Votre discipline est-elle vouée à prendre plus d’ampleur à l’avenir ?

G. A. : Au vu de la complexité du corps humain, on n’est qu’au début, et en fait, on ne sait encore rien faire !

SciencePost remercie Grégoire Aldebert qui a aimablement répondu à nos questions.

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