Quand on parle de cuisine ancienne, on imagine souvent des plats rudimentaires, des viandes rôties sur un feu de bois ou du pain grossier. En réalité, nos ancêtres avaient déjà développé un véritable art culinaire, parfois étonnamment sophistiqué. Aujourd’hui, grâce à l’archéologie et à des chercheurs passionnés, nous savons que la plus ancienne recette écrite connue remonte à près de 4 000 ans… et elle pourrait bien vous étonner.
Des tablettes oubliées qui racontent une histoire
Tout commence en Mésopotamie, dans l’actuel sud de l’Irak. À l’aube du 20e siècle, des archéologues mettent au jour quatre tablettes d’argile babyloniennes, gravées en écriture cunéiforme. Pendant longtemps, ces tablettes intriguent sans réellement livrer leurs secrets. Étaient-elles des recettes médicinales, des formules magiques, ou simplement des documents administratifs ?
Ce n’est qu’en 1945 qu’une chercheuse du nom de Mary Hussey émet l’idée audacieuse qu’il pourrait s’agir… de recettes de cuisine. Une hypothèse moquée à l’époque, tant il semblait improbable que des instructions culinaires soient couchées par écrit dans une société où la transmission orale régnait en maître.
La confirmation inattendue
Il faudra attendre les années 1980 pour que Jean Bottéro, archéologue et spécialiste du Proche-Orient ancien, confirme que ces tablettes contiennent bel et bien des recettes culinaires. Toutefois, Bottéro reste sceptique sur leur saveur, estimant que les plats décrits seraient aujourd’hui difficilement mangeables.
Le tournant intervient encore plus récemment, lorsque Gojko Barjamovic, maître de conférences à Yale, décide avec une équipe interdisciplinaire de traduire et recréer ces recettes antiques. Une tâche ardue : de nombreuses tablettes sont endommagées, plusieurs ingrédients sont aujourd’hui intraduisibles, et aucun poids ni mesure précise n’est indiqué — un standard courant pour l’époque.

Des plats étonnamment familiers… et parfois surprenants
Les recherches ont révélé que ces recettes antiques n’étaient pas si éloignées de la cuisine irakienne moderne. Les tablettes décrivent la préparation de bouillons, de tourtes fourrées à l’oiseau, de ragoûts végétariens ou carnés et même d’un petit mammifère cuit.
On retrouve des ingrédients toujours courants aujourd’hui comme l’agneau, la coriandre, le poireau ou l’ail. Mais certaines recettes étaient un peu plus déroutantes, intégrant du sang ou des rongeurs cuits. Une des recettes traduites donne une idée de leur style :
« On utilise de la viande. On prépare de l’eau. On ajoute du sel fin, des galettes d’orge séchées, de l’oignon, de l’échalote persane et du lait. On écrase et on ajoute du poireau et de l’ail. »
Des instructions minimalistes qui laissent aujourd’hui encore une large part à l’interprétation !
Une redécouverte qui nous rapproche de nos ancêtres
Ces tablettes babyloniennes, datées autour de 1730 av. J.-C., constituent les plus anciennes recettes écrites connues à ce jour. Elles représentent un témoignage précieux sur l’histoire de la gastronomie humaine, à une époque où l’écriture était un outil rare et réservé aux élites.
Pour Farrell Monaco, spécialiste de la cuisine antique, cette redécouverte n’est pas qu’anecdotique : elle souligne à quel point la cuisine est un patrimoine culturel, porteur de traditions et de savoir-faire transmis au fil des siècles.
« Cela crée un beau lien entre nous et eux », résume-t-elle.
Loin d’être de simples recettes sans âme, ces instructions culinaires gravées dans la pierre racontent une histoire millénaire : celle de sociétés complexes, gourmandes et créatives, qui, il y a 4 000 ans, prenaient déjà le temps d’innover en cuisine.
Qui aurait cru qu’un simple ragoût mésopotamien pouvait encore aujourd’hui nous parler d’humanité ?