Le Québécois qui pense avoir découvert une cité maya a-t-il berné la presse mondiale ? Pas sûr !

Crédits : DEZALB / Pixabay

Cela a sans nul doute semblé trop beau pour certains spécialistes. Un adolescent de seulement 15 ans certes passionné, mais qui utilise son petit ordinateur et Google Earth pour découvrir une cité maya perdue peut paraître énorme en effet. William Gadoury avait déjà été lauréat du prix IGARSS 2014 pour son projet « Né du Ciel », lors de l’Expo Science Hydro Québec, il défendait l’idée que « les mayas et certaines autres civilisations anciennes ont positionné leurs citées principales en fonction du positionnement des étoiles dans les constellations. « Selon mes calculs, la concordance entre le positionnement des étoiles et des cités est de plus de 95% », affirmait-il. Dernièrement, aidé par le Dr Armand LaRocque, géomorphologue spécialiste en télédétection, il a déclaré avoir trouvé une cité maya perdue, certains archéologues ont émis des doutes sur cette découverte en s’appuyant sur leurs recherches et en se basant sur une mauvaise image (diffusée par The Independant) représentant selon eux un champ de maïs en jachère ou de cannabis très actif. Pour autant le doute subsiste et d’autres professionnels ont également fait part de leur soutien au jeune passionné.

Les arguments des détracteurs de cette théorie

Auprès de l’Express, Dominique Michelet, directeur de recherche CNRS au laboratoire Archéologie des Amériques ne manque pas de remettre en doute la publication enthousiaste du Journal de Montréal dont il a par ailleurs volontiers dit qu’il le respectait « comme organe de presse généraliste, mais ce n’est ni Science, ni Nature. Il faudrait aller voir dans les détails les posters que l’adolescent semble avoir produits pour pouvoir se faire une idée des choses et de l’importance éventuelle de son travail.« . Il ajoute aussi que les probabilités qu’une cité n’ait pas été découverte sont minces étant donné que « la carte établie semble situer la cité au Belize, peut-être dans la réserve forestière de Cockscomb [or] le nombre d’archéologues au kilomètre carré est très élevé depuis des décennies », surprenant donc que cette découverte n’ait pas déjà été faite dans un endroit « plus petit que la Bretagne ».

Le professeur Rafael Cobos Palma, anthropologue à l’Université de Tulane aux États-Unis s’est quant à lui exprimé auprès du journal espagnol El Pais pour rappeler qu’« en jouant avec le plan céleste, n’importe qui peut trouver des points qui correspondent avec des constructions humaines », l’idée d’un lien entre constructions et constellations ayant « déjà été écartée par les archéologues ».

L’Independant a aussi publié des avis encore plus virulents sur cette découverte. David Stuart, un mayaniste américain, professeur d’art et d’écriture méso-américains à l’université du Texas à Austin, a par exemple estimé que « toute cette histoire est un gâchis — un terrible exemple de science de pacotille qui frappe un Internet en chute libre. Les anciens Mayas n’ont pas établi le plan de leurs anciennes cités selon les constellations. » Thomas Garrison, un professeur d’anthologie à l’université sud-californienne a applaudi le travail de l’adolescent en soulignant néanmoins que « la nature rectiligne de la figure et la végétation secondaire qui y repousse sont des indices clairs qu’il s’agit d’un ancien champ de maïs. Je suppose qu’il est en jachère depuis 10 ou 15 ans. »

L’archéologue slovène Ivan Šprajc considère par ailleurs que « les Mayas étaient de très bons astronomes, mais très peu de constellations mayas ont été identifiées et même dans ces cas-là, on ne sait pas combien ni quelles étoiles composaient exactement chaque constellation. Il est donc impossible de vérifier s’il y a une quelconque correspondance entre les étoiles et la localisation des cités mayas. En général, connaissant un certain nombre de faits environnementaux qui influençaient la localisation des colonies mayas, l’idée d’une corrélation avec les étoiles est complètement improbable. » Selon son collègue Anthony Aveni, spécialiste en archéoastronomie, « à l’exception de Scorpion, les constellations mayas n’ont aucune relation avec celles qu’on retrouve sur nos cartes modernes. »

Marie-Charlotte Arnauld, directrice de recherche émérite à l’ArchAm (Archéologie des Amériques, CNRS) et spécialiste de l’habitat et de l’urbanisation mayas va plus loin, pour elle : « inutile de perdre son temps à essayer de situer le nouveau site du jeune canadien ; les coordonnées, la carte, le principe de localisation, tout est faux, incohérent et absurde (…) Cette histoire de planification de l’ensemble des cités en fonction des constellations est une aberration : les constellations sont des constructions culturelles (il s’agit juste de relier des points) et les nôtres nous viennent des Grecs ! De toute façon, l’hypothèse de départ est fausse : elle oublie 3.000 ans d’Histoire. Les villes n’ont pas toutes été fondées ni occupées en même temps. Il n’y a pas de grand dessein maya et la forêt tropicale se gère comme n’importe quel milieu naturel, millénaire après millénaire. Ce n’est pas la planète Mars ! Bref, tout ceci est utile pour ramasser 1.000 dollars et payer son voyage au garçon. Mais il est triste que des journalistes acceptent ces canulars ».

Malgré ces critiques, il reste des soutiens envers cette théorie (et le jeune passionné) 

Alfonso Rivera, hydrogéologue de Ressources naturelles Canada a remarqué que l’adolescent avait fait un gros travail de recherche, pour lui : « sa comparaison paraît rigoureuse. Il a vérifié les cités existantes, prouvé sa méthode et proposé une nouvelle cité en se basant sur sa seule théorie. Il s’agit d’une approche tout à fait scientifique. »

L’archéologue Victor Pimentel a quant à lui affirmé que « oui, il y a de la jalousie dans notre métier, mais sa démarche donne matière à réflexion, je crois qu’il faut admirer, comprendre et encourager un jeune de cet âge plutôt que d’être jaloux. »

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Localisation du prétendu site Maya

Pour finir, le Dr Armand LaRocque, un géomorphologue spécialiste en télédétection et chargé de cours à l’Université du Nouveau-Brunswick a aidé le jeune homme dans sa démarche de recherche. En apprenant la controverse, il n’a pas hésité à souligner que beaucoup de médias (comme l’Independent) et des spécialistes divers avaient en fait utilisé et analysé la mauvaise photo. Il semblerait que cette image soit parvenue à William par quelqu’un qui souhaitait l’aider dans ses recherches, mais lorsque celui-ci a vu l’image, il a également considéré qu’il ne pouvait en tirer aucune conclusion. Le Dr Armand LaRocque a donc envoyé les bonnes photographies à l’Independent et a ajouté qu’ils avaient d’autres images « montrant des linéaments [qu’ils ont] interprété comme un réseau routier. »

Une seule solution : s’y rendre !

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Finalement, seule une vraie expédition sur les lieux permettra à tout le monde d’avoir le fin mot de l’histoire, mais cela paraît compliqué étant donné que cela pourrait coûter entre 40 000 $ et 75 000 $ (si ce n’est pas 100 000 $ pour plusieurs jours) selon le Journal de Montréal. Il faudrait alors traverser pas moins de 40 km de jungle à pied. Un repérage par la voie des airs serait par ailleurs nécessaire pour identifier les meilleurs chemins d’accès et vérifier le site.

Victor Pimentel note également qu’« on est en plein milieu de la forêt tropicale, une forêt d’une grande diversité et difficile d’accès. » Aussi, envisager une telle expédition prendrait du temps, les insectes piqueurs porteurs de maladies infectieuses ainsi que l’araignée veuve noire y règnent en maîtres.

Qui plus est, n’oublions pas que le site de la Bouche de feu est situé dans un territoire protégé, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO et des autorisations seraient nécessaires pour y avoir accès.

Le mystère risque donc de durer un peu plus longtemps encore mais nous espérons d’ici là pouvoir interroger William afin qu’il nous précise davantage sa découverte.

Source : Wired ; Independent ; JournaldeMontréal ; JDM2