Que sont ces orages aux allures de soucoupes volantes ?

Supercellule orageuse au Kansas le 10 mai 2014. Crédits : NOAA Weather in Focus Photo Contest 2015.

Parfois, les violents orages arborent une structure très laminaire et striée qui se situe habituellement au pied du cumulonimbus, mais qui peut s’étendre jusqu’à une grande altitude. Ce sont très souvent les supercellules qui sont concernées, prenant alors l’apparence de vaisseaux extraterrestres grandeur nature. Mais pourquoi donc ces formes extravagantes ? 

Certaines structures orageuses peuvent prendre des allures de réelle apocalypse céleste. Parfois, elles s’apparentent à des soucoupes géantes suspendues au-dessus de la surface, un peu à l’image de ce qui se passe dans le film de science-fiction Independance Day. On retrouve très souvent cet aspect en présence d’une supercellule orageuse – un orage souvent très intense caractérisé par une ascendance rotative. Les chasseurs d’orages américains parlent alors de « mother-ship », ce qui signifie vaisseau mère. Les plus belles structures de ce type se retrouvent aux États-Unis même si l’on peut en observer partout aux moyennes latitudes.

Cette forme particulière de la partie inférieure des cumulonimbus supercellulaires peut être reliée à deux facteurs principaux : la stabilité atmosphérique et la structure du champ de vent. Les dégradations orageuses sévères aux États-Unis sont fréquemment associées à du cisaillement vertical* et à une inversion de basse couche. Cette dernière consiste en une couche d’air très stable entre la surface et quelques milliers de mètres qui fait office de couvercle. Au-dessus, l’atmosphère est instable. Si une ascendance orageuse arrive à se former dans cet environnement, une fois bien développée, elle va induire une baisse de pression localement marquée à moyenne altitude – à cause de la rotation acquise grâce au cisaillement -, ce qui va littéralement aspirer vers le haut l’air stable situé dans les basses couches. Le mouvement ascendant n’est donc plus seulement piloté par des effets de flottabilité du type « l’air chaud monte ». En conséquence, on observe souvent une base nuageuse évasée ou une bande d’afflux, qui matérialisent ce flux horizontal aspiré sur plusieurs kilomètres puis concentré au niveau de l’ascendance où il est brutalement soulevé.

Une fois soulevées, les parcelles d’air stable deviennent plus froides ou de même température que l’environnement, et ont donc tendance à redescendre ou à ne pas bouger d’elles-mêmes. Mais l’aspiration par la dépression de moyenne altitude liée à l’ascendance rotative supplante cet effet. Au cours de sa montée forcée, cet air chargé de petites gouttelettes d’eau suite à la condensation se fait aisément « sculpter » par le flux, ce qui donne naissance à ces stries nuageuses – sortes de bandes parallèles qui zèbrent horizontalement le pied de l’orage – et à ces couches de nuages laminaires témoins d’un flux peu turbulent à leur altitude. Ces structures sont donc dues à des interactions essentiellement mécaniques entre le mouvement de l’air et le matériau nuageux, la flottabilité intervient peu ou pas**. Ainsi : « L’aspect strié et laminaire de la partie inférieure de l’ascendance orageuse est la manifestation visuelle de la grande stabilité de l’air qui est forcé de s’élever par une force de pression dynamique en altitude. » (Markowski & Richardson, 2010). On retrouve les mêmes concepts pour la formation des nuages lenticulaires, ces lentilles qui se forment la plupart du temps à proximité d’un relief et qui prennent aussi la forme de soucoupes. Dans ce cas, c’est le relief qui force l’air stable à s’élever.

Les supercellules « mother-ship » sont un cas particulier où ces éléments nuageux sont exacerbés, que ce soit en lien avec une ascendance particulièrement puissante et/ou large qui force une grande quantité d’air stable à s’élever, à cause de l’intense rotation de l’orage (on parle de mésocyclone) ou simplement l’absence de précipitations qui met à nu toute la structure orageuse. Rappelons que nous n’avons présenté qu’une partie des éléments qui rentrent en compte dans la genèse de ces particularités, à la fois parce que certains nécessitent une connaissance approfondie de la dynamique des orages, et aussi parce qu’ils ne sont pas tous connus et/ou compris à ce jour.

* On parle de cisaillement vertical de vitesse ou de direction du vent pour désigner sa variation en vitesse ou en direction avec l’altitude. Les supercellules nécessitent une certaine quantité de cisaillement vertical pour pouvoir se former.

** Un air instable est trop turbulent et oppose trop de résistance aux flux horizontaux pour réellement pouvoir se faire « sculpter » par ceux-ci (à l’exception de certains mésocyclones particulièrement puissants). On observe a contrario la formation de structures en choux-fleurs qui s’alignent éventuellement dans le sens du flux.