L’île d’Ellesmere, dans l’Arctique canadien, est une région particulièrement froide tapissée en grande partie d’épais glaciers. Il y a environ 52 millions d’années, les lieux étaient très différents, beaucoup plus verts et humides. Dans cet environnement vivaient deux espèces nouvellement identifiées de mammifères ressemblant à des primates. C’est en tout cas ce que rapporte une étude publiée dans PLOS ONE.
Ignacius au-dessus du cercle polaire
Les fossiles, qui datent du début de l’époque éocène, appartiennent au genre Ignacius aujourd’hui disparu. La relation de ces animaux de l’ordre des plésiadapiformes avec le groupe moderne Euarchonta, qui comprend les primates, est encore débattue, mais certains paléontologues suggèrent un lien étroit avec ces derniers. Ce n’est pas forcément évident au premier regard. Dans la représentation d’en-tête, vous seriez d’ailleurs pardonné de confondre cet animal avec un gros écureuil.
Jusqu’à présent, la plupart des restes d’Ignacius ont été trouvés dans les latitudes moyennes, principalement dans le Wyoming et le Dakota du Nord (États-Unis). Les deux espèces nouvellement décrites, nommées Ignacius mckennai et Ignacius dawsonae, sont les premières jamais identifiées dans l’Arctique. Collectées dans les années 1970 par la paléontologue Mary Dawson, elles n’avaient jamais fait l’objet d’études approfondies.
Les fossiles ne sont pas complets, mais possèdent de nombreuses dents et quelques mâchoires. L’examen de ces restes a ainsi permis de différencier quelques traits non observés chez leurs cousins des latitudes inférieures. Ces différences auraient aidé les deux espèces à faire face à un environnement arctique, certes plus chaud, mais toujours particulièrement difficile.
Les paléontologues évoquent notamment des dents avec des surfaces escarpées capables de s’attaquer à des graines dures et à de l’écorce d’arbre. Il s’agissait probablement des deux seuls types de nourriture disponibles pendant les périodes notoires d’obscurité hivernale prolongée de l’Arctique essuyées à cette époque. Les deux espèces sont également beaucoup plus grandes que les autres espèces d’Ignacius, conformément à la tendance selon laquelle les animaux retrouvés aux pôles ont tendance à être plus gros que leurs parents dans les climats plus chauds. Un plus grand volume permet en effet de retenir plus de chaleur.
Pourquoi est-ce important ?
La présence de ces deux espèces sur l’île d’Ellesmere à cette époque est intéressante, mais l’absence d’autres animaux l’est tout autant. Nous savons par exemple que tout comme les premiers mammifères à sabots, appelés condylarthes, les premiers chevaux, Hyracotherium, étaient surabondants aux latitudes moyennes, mais inexistants dans l’Arctique. D’autres primates et proches parents de primates sont également abondants aux latitudes inférieures, mais absents de cet environnement. Cela signifie que si certains animaux ont pu coloniser l’Arctique éocène alors qu’il se réchauffait, d’autres n’en étaient pas capables.
Comprendre comment ces anciennes espèces ont réagi aux périodes de réchauffement dans le passé est essentiel pour appréhender les comportements actuels, car les températures mondiales augmentent plus rapidement que jamais. Si nous voulons prédire comment un biote se comportera dans un Arctique sans glace (ce qui pourrait se produire dès 2035), nous devons donc examiner ces intervalles passés.