En pleine banlieue du New Jersey, un comportement de chasse totalement inédit vient d’être documenté chez un jeune épervier de Cooper. Ce rapace n’a pas seulement appris à survivre en ville — il a aussi intégré des éléments de l’infrastructure humaine, comme les feux de circulation et les signaux pour piétons, dans sa stratégie de chasse. Ce que révèle cette adaptation va bien au-delà d’un simple fait divers animalier : elle soulève des questions fascinantes sur la cognition des oiseaux et leur capacité à évoluer dans un monde bâti par et pour les humains.
Quand la ville devient une alliée de chasse
Depuis les années 1970, les épervier de Cooper — des rapaces de taille moyenne originaires d’Amérique du Nord — ont commencé à s’installer en milieu urbain, notamment en hiver. Ces environnements, malgré leur complexité et leur dangerosité, offrent une nourriture abondante et des abris potentiels. Mais jusqu’à récemment, leur utilisation active de l’environnement urbain dans des stratégies de chasse sophistiquées restait peu documentée.
Dans une étude publiée dans Frontiers in Ethology, le chercheur Vladimir Dinets (Université du Tennessee) rapporte avoir observé, pendant plusieurs semaines, un jeune épervier utilisant de manière répétée les phases de feux de circulation et les signaux sonores pour piétons à une intersection de West Orange, dans le New Jersey, pour dissimuler son approche et surprendre ses proies.
Une chorégraphie parfaitement synchronisée
Perché à proximité d’un pâté de maisons où les résidents laissaient chaque matin des miettes de pain, l’épervier avait identifié un lieu de rassemblement idéal pour les oiseaux proies : moineaux domestiques, tourterelles tristes et étourneaux. Mais il ne s’y attaquait pas n’importe comment.
Chaque attaque avait lieu exclusivement lorsque le signal sonore pour piétons retentissait, prolongeant le feu rouge et formant une file dense de voitures à l’arrêt. Ce mur de métal temporaire servait de couverture parfaite pour s’approcher sans être vu.
L’oiseau reproduisait exactement le même schéma à chaque fois : il apparaissait au déclenchement du signal piéton, se glissait au ras du trottoir, longeait la file de voitures, puis traversait la rue en rasant les pare-chocs pour fondre sur ses proies. En 12 heures d’observation réparties sur 18 matins d’hiver, six attaques ont été enregistrées — toutes durant ces fenêtres très précises, soit seulement 3,75 % du temps total d’observation. Statistiquement, la probabilité que ce soit dû au hasard est quasi nulle (P ≈ 0,000053).

Ce que cela nous dit sur l’intelligence des oiseaux
Ce type de comportement n’est pas juste impressionnant : il est extrêmement rare chez les rapaces. Si certaines espèces urbaines comme les corbeaux ou les goélands sont bien connues pour leur capacité à exploiter les infrastructures humaines (jeter des noix sous les roues de voitures, attendre l’ouverture automatique de portes), cet épervier de Cooper semble démontrer une forme d’intelligence adaptative avancée, jusque-là inconnue chez son espèce.
Pour réussir son plan, le faucon devait non seulement mémoriser la configuration spatiale de l’intersection, mais aussi comprendre et anticiper les séquences visuelles et sonores des signaux lumineux. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’un simple conditionnement instinctif, mais d’une stratégie de résolution de problème, comparable à ce qu’on observe chez les oiseaux les plus réputés pour leur intelligence, comme les corvidés ou les perroquets.
Un coup d’évolution… ou un talent caché ?
Dinets souligne que ce comportement n’est probablement pas une adaptation évolutive récente, mais plutôt l’expression d’une faculté cognitive latente, déjà présente chez ces rapaces, et mise en lumière par les contraintes particulières de la ville. Autrement dit, l’urbanisation ne rend pas les faucons « plus intelligents », mais leur donne l’occasion de déployer des compétences qui seraient peut-être restées invisibles dans un environnement naturel plus stable.
Ce constat rejoint un courant croissant en éthologie : beaucoup d’animaux sont bien plus « intelligents » qu’on ne le pensait, mais leurs capacités cognitives n’émergent que dans des contextes suffisamment complexes ou stimulants.
Une leçon urbaine… et évolutive
Ce cas exceptionnel pose une question vertigineuse : combien de comportements sophistiqués échappent encore à notre regard, simplement parce que nous n’observons pas assez attentivement ? L’intelligence animale ne se mesure plus uniquement à la taille du cerveau ou à la capacité à utiliser un outil. Elle réside aussi dans l’aptitude à naviguer dans un monde changeant, à improviser, à apprendre — y compris de nos propres inventions.
Dans une époque marquée par l’urbanisation galopante, l’adaptabilité cognitive des animaux comme ce faucon de Cooper pourrait bien devenir une condition essentielle de survie. Et pour nous, une formidable invitation à revoir notre conception de l’intelligence… et de la ville.