Quand le recul de la banquise Arctique alimente des tempĂȘtes de neige en Europe

nuage arctique
Crédits : NASA.

Entre fĂ©vrier et mars 2018, l’Europe subissait un Ă©pisode hivernal marquĂ© par de fortes chutes de neige. Certains pays du nord furent paralysĂ©s tandis que les flocons s’invitĂšrent jusqu’au sud du vieux continent. Or, de rĂ©cents travaux montrent que cet Ă©vĂšnement a Ă©tĂ© fortement accentuĂ© par le retrait de la banquise arctique.

Le paysage mĂ©tĂ©orologique de nos latitudes se distingue par les importantes variations thermiques qui surviennent d’une semaine, d’un mois ou d’une annĂ©e Ă  l’autre. RythmĂ©e par les mouvements de l’atmosphĂšre, masses d’air tropical et polaire s’adonnent ainsi Ă  une alternance continuelle, mais complexe car irrĂ©guliĂšre. À ce titre, la façon dont les rĂ©gimes mĂ©tĂ©o se succĂšdent Ă  l’échelle d’un pays comme la France paraĂźt relever du chaos le plus total.

En dĂ©pit de la dimension erratique et particuliĂšrement complexe des circulations atmosphĂ©riques qui affectent nos territoires, ces derniers n’échappent pas au rĂ©chauffement global de la planĂšte. En effet, puisque le fluide atmosphĂ©rique est graduellement rĂ©chauffĂ©, ses mouvements brassent un air progressivement plus chaud. Par consĂ©quent, les flux de sud amĂšnent plus facilement une chaleur extrĂȘme tandis que les flux polaires conduisent plus difficilement Ă  un excĂšs de froid.

Simulation des anomalies de tempĂ©rature en 2012 et en 2090 selon un scĂ©nario climatique pessimiste. Les Ă©carts se prĂ©sentent par rapport Ă  la normale 1980-2010 Ă  une rĂ©solution journaliĂšre (ici pour le 16 mars). Notez que mĂȘme en fin de siĂšcle, les anomalies froides n’ont pas totalement disparu. CrĂ©dits : National Center for Atmospheric Research.

Un potentiel neigeux accru en Europe durant l’hiver

Une autre consĂ©quence associĂ©e au brassage d’une atmosphĂšre dĂ©jĂ  plus chaude d’environ 1 °C concerne l’humiditĂ©. Étant donnĂ© que le contenu en eau de l’air dĂ©pend de sa tempĂ©rature, tout ce qui met en jeu les prĂ©cipitations – qu’il s’agisse de pluie ou de neige – sera Ă©galement affectĂ©. Et parfois de maniĂšre assez peu intuitive comme en tĂ©moigne une nouvelle Ă©tude parue dans la revue Nature Geoscience en ce dĂ©but avril.

Les chercheurs ont montrĂ© que la combinaison d’une atmosphĂšre plus chaude et d’un dĂ©ficit de banquise en mer de Barents avait contribuĂ© Ă  l’important Ă©pisode neigeux qui a touchĂ© l’Europe en fĂ©vrier et mars 2018. En circulant au-dessus de mers arctiques trĂšs peu englacĂ©es, l’air a pu se charger plus efficacement en vapeur d’eau. Puis, propulsĂ© vers le sud par un vigoureux flux de nord Ă  nord-est, cette humiditĂ© a alimentĂ© de fortes chutes de neige Ă  travers le continent europĂ©en.

« Le changement climatique ne se manifeste pas toujours de la maniĂšre la plus Ă©vidente » rapporte Alun Hubbard, coauteur du papier. « Il est facile d’extrapoler des modĂšles pour montrer que les hivers se rĂ©chauffent et pour prĂ©voir un avenir pratiquement sans neige en Europe, mais notre Ă©tude la plus rĂ©cente montre que c’est trop simpliste. Nous devrions nous mĂ©fier des dĂ©clarations trop gĂ©nĂ©rales* sur les impacts du changement climatique ».

nuage neige Europe
Image satellite du 15 mars 2018. Notez le flux d’air passant au-dessus de la mer de Barents et s’enrichissant en humiditĂ© (bandes nuageuses). On parle de rues de nuages. CrĂ©dits : NASA.

Une origine rĂ©vĂ©lĂ©e par les isotopes de l’eau

Ces rĂ©sultats novateurs rĂ©sultent de l’analyse isotopique de l’eau prĂ©cipitĂ©e en Europe du nord. En effet, combinĂ©e aux donnĂ©es satellites, la mĂ©thode gĂ©ochimique a permis de retracer la provenance de l’humiditĂ©. Elle rĂ©vĂšle notamment que prĂšs de 90 % Ă©manait des surfaces d’eaux libres situĂ©es en mer de Barents. Plus prĂ©cisĂ©ment, l’équivalent de prĂšs de 10 millimĂštres d’eau par jour. Les donnĂ©es indiquent ainsi qu’environ 140 milliards de tonnes d’eau se sont Ă©vaporĂ©es de ladite mer, anormalement chaude, au cours de l’évĂšnement.

« Ce que nous constatons, c’est que la glace de mer est comme un couvercle sur l’ocĂ©an », dĂ©taille Hannah Bailey, auteure principale de l’étude. « Et avec sa rĂ©duction Ă  long terme dans l’Arctique, nous voyons des quantitĂ©s croissantes d’humiditĂ© pĂ©nĂ©trer dans l’atmosphĂšre en hiver, ce qui a un impact direct sur nos conditions mĂ©tĂ©orologiques plus au sud, provoquant des chutes de neige extrĂȘmement abondantes. Cela peut sembler contre-intuitif, mais la nature est complexe et ce qui se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arctique ».

Enfin, les auteurs montrent qu’entre 1979 et 2020, la quantitĂ© d’eau Ă©vaporĂ©e – et donc de prĂ©cipitations neigeuses potentielles – au nord de la Scandinavie s’est trouvĂ©e dĂ©cuplĂ©e. Le ratio calculĂ© correspondant approximativement Ă  70 kg d’eau par mÂČ de banquise, prĂ©cipitables sous la forme de 1,6 mm d’équivalent en pluie par an. « Notre analyse (
) signifie que d’ici Ă  2080, une mer de Barents atlantifiĂ©e et sans glace sera une source majeure d’humiditĂ© en hiver pour l’Europe continentale » conclut l’étude dans son rĂ©sumĂ©.

* Voir aussi notre article sur le changement climatique en France.

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