Entre fĂ©vrier et mars 2018, lâEurope subissait un Ă©pisode hivernal marquĂ© par de fortes chutes de neige. Certains pays du nord furent paralysĂ©s tandis que les flocons sâinvitĂšrent jusquâau sud du vieux continent. Or, de rĂ©cents travaux montrent que cet Ă©vĂšnement a Ă©tĂ© fortement accentuĂ© par le retrait de la banquise arctique.
Le paysage mĂ©tĂ©orologique de nos latitudes se distingue par les importantes variations thermiques qui surviennent dâune semaine, dâun mois ou dâune annĂ©e Ă lâautre. RythmĂ©e par les mouvements de lâatmosphĂšre, masses d’air tropical et polaire sâadonnent ainsi Ă une alternance continuelle, mais complexe car irrĂ©guliĂšre. Ă ce titre, la façon dont les rĂ©gimes mĂ©tĂ©o se succĂšdent Ă lâĂ©chelle dâun pays comme la France paraĂźt relever du chaos le plus total.
En dĂ©pit de la dimension erratique et particuliĂšrement complexe des circulations atmosphĂ©riques qui affectent nos territoires, ces derniers nâĂ©chappent pas au rĂ©chauffement global de la planĂšte. En effet, puisque le fluide atmosphĂ©rique est graduellement rĂ©chauffĂ©, ses mouvements brassent un air progressivement plus chaud. Par consĂ©quent, les flux de sud amĂšnent plus facilement une chaleur extrĂȘme tandis que les flux polaires conduisent plus difficilement Ă un excĂšs de froid.
Un potentiel neigeux accru en Europe durant lâhiver
Une autre consĂ©quence associĂ©e au brassage dâune atmosphĂšre dĂ©jĂ plus chaude dâenviron 1 °C concerne lâhumiditĂ©. Ătant donnĂ© que le contenu en eau de lâair dĂ©pend de sa tempĂ©rature, tout ce qui met en jeu les prĂ©cipitations – quâil sâagisse de pluie ou de neige – sera Ă©galement affectĂ©. Et parfois de maniĂšre assez peu intuitive comme en tĂ©moigne une nouvelle Ă©tude parue dans la revue Nature Geoscience en ce dĂ©but avril.
Les chercheurs ont montrĂ© que la combinaison dâune atmosphĂšre plus chaude et dâun dĂ©ficit de banquise en mer de Barents avait contribuĂ© Ă lâimportant Ă©pisode neigeux qui a touchĂ© lâEurope en fĂ©vrier et mars 2018. En circulant au-dessus de mers arctiques trĂšs peu englacĂ©es, lâair a pu se charger plus efficacement en vapeur dâeau. Puis, propulsĂ© vers le sud par un vigoureux flux de nord Ă nord-est, cette humiditĂ© a alimentĂ© de fortes chutes de neige Ă travers le continent europĂ©en.
« Le changement climatique ne se manifeste pas toujours de la maniĂšre la plus Ă©vidente » rapporte Alun Hubbard, coauteur du papier. « Il est facile d’extrapoler des modĂšles pour montrer que les hivers se rĂ©chauffent et pour prĂ©voir un avenir pratiquement sans neige en Europe, mais notre Ă©tude la plus rĂ©cente montre que c’est trop simpliste. Nous devrions nous mĂ©fier des dĂ©clarations trop gĂ©nĂ©rales* sur les impacts du changement climatique ».
Une origine rĂ©vĂ©lĂ©e par les isotopes de lâeau
Ces rĂ©sultats novateurs rĂ©sultent de lâanalyse isotopique de lâeau prĂ©cipitĂ©e en Europe du nord. En effet, combinĂ©e aux donnĂ©es satellites, la mĂ©thode gĂ©ochimique a permis de retracer la provenance de lâhumiditĂ©. Elle rĂ©vĂšle notamment que prĂšs de 90 % Ă©manait des surfaces dâeaux libres situĂ©es en mer de Barents. Plus prĂ©cisĂ©ment, lâĂ©quivalent de prĂšs de 10 millimĂštres dâeau par jour. Les donnĂ©es indiquent ainsi quâenviron 140 milliards de tonnes dâeau se sont Ă©vaporĂ©es de ladite mer, anormalement chaude, au cours de lâĂ©vĂšnement.
« Ce que nous constatons, c’est que la glace de mer est comme un couvercle sur l’ocĂ©an », dĂ©taille Hannah Bailey, auteure principale de lâĂ©tude. « Et avec sa rĂ©duction Ă long terme dans l’Arctique, nous voyons des quantitĂ©s croissantes d’humiditĂ© pĂ©nĂ©trer dans l’atmosphĂšre en hiver, ce qui a un impact direct sur nos conditions mĂ©tĂ©orologiques plus au sud, provoquant des chutes de neige extrĂȘmement abondantes. Cela peut sembler contre-intuitif, mais la nature est complexe et ce qui se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arctique ».
Enfin, les auteurs montrent quâentre 1979 et 2020, la quantitĂ© dâeau Ă©vaporĂ©e – et donc de prĂ©cipitations neigeuses potentielles – au nord de la Scandinavie s’est trouvĂ©e dĂ©cuplĂ©e. Le ratio calculĂ© correspondant approximativement Ă 70 kg dâeau par mÂČ de banquise, prĂ©cipitables sous la forme de 1,6 mm dâĂ©quivalent en pluie par an. « Notre analyse (âŠ) signifie que d’ici Ă 2080, une mer de Barents atlantifiĂ©e et sans glace sera une source majeure d’humiditĂ© en hiver pour l’Europe continentale » conclut lâĂ©tude dans son rĂ©sumĂ©.
* Voir aussi notre article sur le changement climatique en France.