Quand le caca des manchots permet d’étudier les variations passées de la circulation océanique

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Crédits : Pixabay.

Étudier les excréments des manchots pour évaluer les changements passés de la circulation océanique. L’idée peut sembler saugrenue. Pourtant, c’est grâce à eux qu’une équipe de scientifiques a pu reconstruire la variabilité des courants océaniques en mer de Ross sur les 6000 dernières années. Les résultats ont récemment été publiés dans la revue Geophysical Research Letters.

Accumulées au niveau d’un site où les manchots résident depuis plusieurs millénaires, les couches de guano étudiées sont riches d’enseignements. En effet, leur composition chimique fournit des indications précieuses, à commencer par le régime alimentaire des oiseaux marins.

Du lien entre alimentation des manchots et circulation océanique 

En particulier, les chercheurs ont trouvé plusieurs pics de cadmium, un nutriment typique des eaux profondes. Cela indique qu’à plusieurs reprises, la circulation océanique a organisé des remontées d’eaux depuis les profondeurs vers la surface dans la région d’étude. Le réchauffement local, la diminution de la banquise côtière et l’apport d’éléments nutritifs associés ont alors profité au réseau trophique de la région, depuis le krill jusqu’aux manchots. De fait, on observe une forte corrélation entre le nombre d’oiseaux marins et l’ampleur de la remontée des eaux profondes circumpolaires.

« [Ces eaux] préoccupent grandement les climatologues et les océanographes, car elles entraînent la fonte rapide de la plateforme glaciaire de l’Antarctique occidental, le dégazage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère et déterminent la distribution spatiale de la biomasse dans l’océan Austral » détaille Zhouqing Xie, auteur principal du papier.

« Mais les reconstructions historiques des eaux profondes circumpolaires sont assez rares » poursuit le chercheur. « Nous ne trouvons des indices que dans les carottes de sédiments océaniques et nous pouvons indirectement déduire ce que le courant faisait à travers les températures de surface de la mer et la glace de mer ».

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Circulation océanique thermohaline autour de l’Antarctique et dans le monde. Notez la présence du courant circumpolaire antarctique et la formation d’eaux profondes dans quelques zones précisément localisées. Crédits : @AgatheDemarais / NOAA.

L’étude du guano, ou comment faire d’une pierre deux coups

Le régime alimentaire des manchots contient essentiellement du krill et du poisson. Or, la disponibilité de ces derniers évolue avec les saisons, mais également à plus long terme en fonction des courants marins, de la température de l’eau ou de l’extension de la banquise. En nous renseignant sur leur alimentation, les excréments des manchots jouent ainsi un véritable rôle de proxy climatique.

De plus, ils fournissent des indications précieuses sur les liens entre les évolutions climatiques et la population régionale d’oiseaux marins. « Parce que la biosphère est un système beaucoup plus complexe [que les océans], elle est plus chaotique à bien des égards et plus difficile à modéliser. Établir un lien entre le krill et la mégafaune est assez délicat, c’est donc un bel exemple de la façon dont vous pouvez le faire » relate Robert McKay, chercheur qui n’a pas participé à l’étude.

Les résultats obtenus dans le cadre de la présente étude permettent également de mieux anticiper ce qui pourrait se passer à l’avenir. Lors des réchauffements régionaux survenus par le passé, par exemple autour de l’an 1000 où la concentration des excréments en cadmium était très élevée et signe d’une importante remontée d’eaux profondes, la population de manchots a pu prospérer et croître en taille.

Cependant, « le réchauffement actuel dans l’Antarctique occidental est si rapide et intense qu’il peut causer des problèmes sous d’autres aspects » regrette Liguang Sun, coauteur du papier. « Cela pourrait conduire à la relocalisation de l’habitat des manchots et, pour les manchots empereurs qui se reproduisent sur la glace, à la possibilité d’une disparition complète dans certaines zones ».