Les adolescents d’aujourd’hui ne sont peut-être pas si différents de leurs lointains ancêtres de l’ère glaciaire. Une étude récente menée par une équipe internationale d’archéologues a en effet permis de découvrir que les jeunes Homo sapiens vivant en Europe il y a entre 10 000 et 30 000 ans passaient par des étapes de puberté étonnamment similaires à celles des adolescents contemporains. Bien que leur environnement ait été bien plus rude et dangereux, leur développement physique suivait un schéma qui n’a finalement que peu évolué au fil des millénaires.
L’adolescence à travers les âges et la bioarchéologie
L’adolescence est une phase cruciale du développement humain qui est marquée par des transformations physiques et psychologiques influencées par les expériences précoces. La puberté, qui déclenche cette période, est initiée par des hormones du cerveau, provoquant des changements comme la poussée de croissance, le développement musculaire, la formation des seins et des modifications psychiques.
Récemment, l’adolescence est devenue un sujet d’étude distinct en bioarchéologie. En analysant les squelettes, les chercheurs peuvent estimer le moment de la puberté grâce à des marqueurs squelettiques, comme ceux des mains, du bassin et du coude. Cette méthode permet de déduire l’apparence et le stade de maturité sexuelle des individus anciens.
Le Paléolithique supérieur (il y a environ 50 000 à 12 000 ans) est une période clé pour étudier l’adolescence chez les premiers Homo sapiens. Les chasseurs-cueilleurs de cette époque suivaient en effet un cycle de vie plus lent, ce qui fait de leur puberté un sujet d’étude fascinant. Les chercheurs s’intéressent notamment à savoir si la puberté se produisait plus tôt dans ces sociétés mobiles que dans les sociétés agricoles du Néolithique.
Les pratiques funéraires du Paléolithique supérieur, qui ont laissé des squelettes bien préservés, offrent une opportunité unique d’explorer non seulement les aspects biologiques de la puberté, mais aussi la manière dont les adolescents étaient perçus par leur communauté. Cette recherche permet ainsi de mieux comprendre la dynamique sociale et le développement des jeunes à une époque clé de l’évolution humaine.
De grandes similarités
Dans le cadre de récents travaux, des chercheurs ont analysé les squelettes de treize adolescents retrouvés sur plusieurs sites archéologiques en Italie, en Russie et en République tchèque.
À partir de « marqueurs de maturation » présents sur ces ossements, ils ont pu estimer différents stades de la puberté. Les os humains fusionnent à mesure que l’on grandit, et ces changements permettent de suivre les étapes clés de la croissance. Les scientifiques ont ainsi pu identifier des étapes cruciales comme la poussée de croissance, l’apparition des premières menstruations chez les filles et la fin du développement physique à l’âge adulte.
Ce processus de maturation osseuse, combiné avec les données historiques, a permis de situer le début de la puberté des jeunes de l’ère glaciaire autour de 13,5 ans, un âge qui correspond également à celui de nombreux adolescents vivant aujourd’hui dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs.
De plus, les jeunes de cette époque atteignaient la maturité physique entre 16 et 21 ans. Ce délai est comparable à celui de nos sociétés actuelles, où la fin de la puberté se situe entre 16 et 18 ans.
Des conditions de vie difficiles et une puberté retardée
Bien que le schéma global du développement soit similaire, certaines différences majeures subsistent.
Le mode de vie des Homo sapiens de l’ère glaciaire, fait de chasse et de survie dans des conditions environnementales extrêmes, semble en effet avoir retardé la puberté chez certains individus. Les chercheurs ont remarqué que la ménarche, c’est-à-dire l’apparition des premières règles chez les filles, survenait plus tard que dans les sociétés anciennes. Alors qu’aujourd’hui, dans les pays occidentaux, les menstruations commencent autour de 11 ou 12 ans, les données montrent qu’à l’ère glaciaire, ce phénomène survenait vers 16 ou 17 ans.
Ce retard se reflète également dans le développement des garçons. Les adolescents de l’ère glaciaire semblaient passer plus de temps dans cette phase intermédiaire entre l’enfance et l’âge adulte, ce qui pourrait être lié à des contraintes nutritionnelles, au stress physique intense et aux conditions de survie difficiles.
Malgré tout, contrairement à l’idée répandue selon laquelle les jeunes d’aujourd’hui entreraient dans la puberté plus tôt en raison des modes de vie modernes, cette étude montre que le début de la puberté n’a finalement pas tant évolué depuis des milliers d’années. Selon April Nowell, archéologue paléolithique à l’Université de Victoria, « les adolescents d’aujourd’hui suivent un modèle resté largement inchangé depuis des milliers d’années ».
Cas particuliers : la puberté et les différences physiques
Parmi les découvertes marquantes de cette étude figure un adolescent retrouvé sur le site de Romito, en Italie. Ce jeune homme, mort à 16 ans, souffrait de nanisme chondroplasique, une maladie génétique affectant la croissance des os. Malgré son âge, sa petite taille (environ 1 mètre) et son développement tardif indiquent qu’il était probablement perçu comme un enfant par les membres de sa communauté. Les archéologues ont observé que son corps avait été enterré dans les bras d’une femme plus âgée, un rituel qui pourrait refléter son statut particulier dans le groupe.
Cet exemple montre que la variabilité individuelle dans le processus de maturation pouvait avoir des implications sociales et culturelles dans les sociétés anciennes. Étudier ces cas atypiques offre de nouvelles perspectives sur la manière dont les sociétés du passé prenaient en charge leurs membres les plus vulnérables ou différents.
Les découvertes faites sur ces adolescents de l’ère glaciaire ouvrent ainsi de nombreuses pistes pour de futures recherches. Par exemple, une question cruciale est de savoir si les Néandertaliens, nos cousins disparus, traversaient des étapes de puberté similaires. « Comprendre comment ces groupes proches de nous se sont développés pourrait nous apporter des réponses sur leur organisation sociale et leur disparition », soulignent les auteurs.