Les éléments chimiques que nous connaissons aujourd’hui ne représentent qu’une petite fraction des éléments pouvant exister dans l’univers. En effet, certains éléments n’existent que dans des conditions extrêmes, souvent produites en laboratoire. Parmi eux, les éléments superlourds, qui se trouvent au-delà de l’uranium dans le tableau périodique, sont particulièrement fascinants. Mais leur étude pose un défi de taille : leur durée de vie est incroyablement courte. Toutefois, une avancée majeure a récemment été réalisée. En effet, les propriétés chimiques de deux de ces éléments, le moscovium (élément 115) et le nihonium (élément 113), ont enfin été observées.
Les éléments lourds et leur réactivité chimique
Les éléments du tableau périodique sont classés selon leur numéro atomique. En outre, plus un élément est lourd, plus sa structure atomique devient instable. En effet, un nombre important de protons crée une répulsion électromagnétique plus forte entre ces derniers, ce qui rend le noyau instable et sujet à la désintégration. Cela est particulièrement vrai pour les éléments transuraniens, c’est-à-dire ceux qui se trouvent après l’uranium (élément 92).
Le moscovium et le nihonium sont des exemples parfaits de ces éléments superlourds. Produits par des faisceaux de particules envoyés à des vitesses incroyablement élevées pour fusionner des noyaux atomiques, ils sont si instables qu’ils se désintègrent en quelques millisecondes, ce qui laisse très peu de temps pour observer leur comportement. Plus précisément, le moscovium-288, l’isotope le plus stable de cet élément, a une demi-vie de seulement 100 millisecondes, tandis que le nihonium-286 reste stable pendant seulement 9,5 secondes.
Les découvertes récentes et la réactivité chimique des éléments
Malgré ces difficultés, des chercheurs de l’Association Helmholtz des centres de recherche allemands ont récemment pu observer les propriétés chimiques de ces deux éléments.
Les chercheurs les ont d’abord produits en accélérant des ions de calcium-48 et en les dirigeant sur des cibles d’américium-243, ce qui a permis la fusion des noyaux et la création de moscovium-288 qui se désintègre ensuite en nihonium-284.
Afin de préserver les atomes produits avant qu’ils ne se désintègrent, les chercheurs ont employé des gaz inertes pour les transporter au-dessus de détecteurs à quartz, ce qui leur a permis d’analyser leur réactivité chimique. Ces techniques ont été cruciales pour obtenir des données sur le comportement de ces éléments à des échelles de temps extrêmement réduites.
L’équipe a testé leur réactivité en analysant leur interaction avec d’autres substances chimiques. À leur grande surprise, le moscovium et le nihonium se sont révélés plus réactifs que d’autres éléments voisins du tableau périodique, comme le plomb. Ce résultat peut sembler étrange, car les éléments lourds sont souvent moins réactifs en raison de la façon dont leurs électrons sont distribués.
L’effet relativiste
Les chercheurs ont découvert que la réactivité accrue des éléments superlourds comme le moscovium et le nihonium peut être expliquée par un phénomène appelé l’effet relativiste.
Cet effet fait référence à l’influence de la relativité restreinte d’Einstein sur les particules subatomiques. À mesure qu’un élément devient plus lourd, les électrons les plus externes se déplacent à des vitesses proches de celle de la lumière. Des expériences ont montré que ce phénomène est bien présent pour les éléments étudiés.
Or, nous savons que la relativité restreinte modifie la façon dont ces électrons interagissent avec d’autres atomes. En effet, la théorie d’Einstein prédit que ces électrons se comportent différemment de ceux des éléments plus légers, ce qui perturbe les modèles classiques de la chimie. Cela explique en partie pourquoi des éléments comme le flérovium (élément 114), qui se trouve près du plomb dans le tableau périodique, sont presque aussi peu réactifs que les gaz nobles.
Les chercheurs ont constaté que cet effet affecte aussi le moscovium et le nihonium, mais dans une moindre mesure. Bien qu’ils soient plus réactifs que certains éléments lourds, ils le sont moins que les éléments plus légers voisins.
Si les éléments superlourds n’ont actuellement pas de nombreuses applications pratiques, leur durée de vie très courte empêchant de les utiliser dans des technologies réelles, les découvertes de ce genre sont cruciales pour la compréhension de la chimie fondamentale. À l’avenir, si les scientifiques parviennent à stabiliser certains de ces éléments ou à en produire plus, des applications dans des domaines comme l’énergie nucléaire ou les batteries avancées pourraient être envisagées.