Ce mardi 10 octobre, l’Académie royale des sciences de Suède a dévoilé les lauréats du 119e prix Nobel de physique. John Clarke, Michel H. Devoret et John M. Martinis ont reçu cette distinction suprême pour une découverte qui semblait relever de la science-fiction : ils ont réussi à observer des phénomènes quantiques non pas à l’échelle microscopique habituelle, mais dans un circuit électrique suffisamment grand pour tenir dans une main. Une prouesse scientifique dont les retombées révolutionnent déjà notre quotidien, des smartphones aux futurs ordinateurs quantiques.
Une annonce qui a surpris jusqu’aux lauréats eux-mêmes
La cérémonie de Stockholm a réservé son lot de surprises. Lorsque John Clarke, professeur à l’Université de Californie à Berkeley, a reçu l’appel du comité Nobel, il a avoué être « complètement abasourdi ». Ses deux co-lauréats, Michel H. Devoret de l’Université de Yale et John M. Martinis de l’UC Santa Barbara, partagent avec lui une récompense de 11 millions de couronnes suédoises, soit environ 1,2 million de dollars.
Le motif officiel de l’attribution : « la découverte de l’effet tunnel quantique macroscopique et de la quantification de l’énergie dans un circuit électrique« . Derrière ce jargon technique se cache une révolution qui relie les expériences de laboratoire des années 1980 aux technologies qui façonnent notre monde connecté.
L’exploit : faire obéir des milliards d’électrons aux lois quantiques
Dans l’univers quantique, les règles du jeu défient toute intuition. Les particules peuvent traverser des barrières infranchissables grâce à l’effet tunnel, un phénomène où elles se comportent simultanément comme des particules et des ondes. Jusqu’aux travaux des trois Nobel, ce tour de force n’avait été observé que sur des particules isolées, à l’échelle microscopique.
Le défi était colossal : comment orchestrer ce comportement quantique avec non pas une, mais des milliards de particules agissant de concert ? La solution résidait dans le froid extrême et un dispositif astucieux appelé jonction Josephson.
En refroidissant deux supraconducteurs séparés par une fine barrière isolante à des températures proches du zéro absolu, les chercheurs ont créé des conditions extraordinaires. Les électrons se sont alors appariés pour former des « paires de Cooper », ces duos de particules qui obéissent à des règles quantiques radicales : elles peuvent toutes occuper le même état énergétique, se déplaçant comme une entité collective unique.

L’expérience qui a tout changé
Au milieu des années 1980, les trois physiciens ont méticuleusement protégé leur jonction Josephson de toute interférence extérieure avant de l’alimenter en courant électrique faible. Les premiers résultats semblaient décevants : aucune tension, aucun courant traversant la barrière.
Mais la persévérance a payé. En répétant l’expérience encore et encore, ils ont observé quelque chose d’extraordinaire : une tension apparaissait sporadiquement aux bornes du dispositif. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : les électrons traversaient collectivement la barrière par effet tunnel, agissant comme une seule particule macroscopique.
Pour confirmer cette hypothèse audacieuse, ils ont bombardé le système de micro-ondes. L’absorption de ces ondes a révélé que, malgré leur comportement collectif à grande échelle, les paires d’électrons conservaient des niveaux d’énergie discrets et quantifiés, exactement comme des particules quantiques individuelles.
Des atomes artificiels aux ordinateurs quantiques
Cette découverte a ouvert un champ de possibilités vertigineux. Le système créé par les trois chercheurs est aujourd’hui qualifié « d’atome artificiel », une brique fondamentale qui a permis le développement de multiples technologies quantiques.
Les applications concrètes sont déjà omniprésentes. Les micropuces avancées qui équipent nos smartphones intègrent des composants issus de ces travaux. Les ordinateurs quantiques, ces machines capables de résoudre des problèmes inaccessibles aux supercalculateurs classiques, reposent directement sur ces principes.
Les capteurs ultra-sensibles utilisés en imagerie médicale, les systèmes de communication cryptée inviolables, ou encore les horloges atomiques qui garantissent la précision du GPS mondial : tous héritent de cette percée scientifique.
Une reconnaissance pour la mécanique quantique du quotidien
Olle Eriksson, président du Comité Nobel de physique, a salué une découverte qui illustre comment « la mécanique quantique, vieille de plusieurs siècles, offre sans cesse de nouvelles surprises« . Il a également souligné son utilité fondamentale : « C’est le fondement de toute technologie numérique.«
Cette attribution du Nobel 2025 rappelle une réalité souvent méconnue : les révolutions technologiques qui transforment notre quotidien prennent racine dans des découvertes fondamentales menées des décennies plus tôt, dans l’ombre des laboratoires. Ce que Clarke, Devoret et Martinis ont accompli dans les années 1980 façonne aujourd’hui l’infrastructure invisible de notre monde connecté. Et ce n’est probablement que le début.
