Les températures les plus basses sur notre planète atteindraient pratiquement les -100 °C, selon une nouvelle analyse des conditions thermiques régnant en Antarctique. Ces températures ont été déduites des données satellitaires, et se situent dans des petits bassins topographiques au sommet de la calotte glaciaire, à l’est du continent.
La haute altitude à laquelle se situe la surface du plateau de l’Antarctique de l’Est, sa localisation très près du pôle sud et le fait qu’il s’agisse d’une énorme calotte glaciaire de plusieurs kilomètres d’épaisseur lui confèrent le climat le plus froid de la planète. La température la plus basse qui a été relevée près de la surface par une station météorologique est de -89,2 °C à Vostok le 21 juillet 1983. Cependant, la couverture en station est très faible : l’essentiel des zones de l’Antarctique de l’Est n’est pas sondé. Nous avons donc une vue très parcellaire des conditions extrêmes qui pourraient exister dans cette région au climat très hostile. De ce fait, on se doutait bien que certains « trous à froid » pouvaient facilement passer sous cette valeur-record, mais sans mesure pour le confirmer.
En 2013, une équipe de chercheurs a décidé de combler ces lacunes en utilisant des données fournies par différents instruments embarqués à bord de satellites d’observation de la terre. L’étude avait alors annoncé que des températures aussi basses que -93 °C avaient été trouvées à plusieurs endroits du plateau oriental de l’Antarctique. Cependant, les scientifiques ont révisé leur travail initial dans une étude parue ce 25 juin. Grâce à de nouvelles données, ils ont trouvé que la température pouvait descendre encore plus bas : jusqu’à près de -98 °C. Cela est arrivé en une centaine de points entre 2004 et 2016 au cours des mois de juillet et d’août, en pleine nuit polaire. Il faut toutefois préciser que les températures fournies par les satellites sont représentatives de la surface recouverte de neige. Pour pouvoir être comparées aux mesures des stations in situ, il faut en déduire les températures à 2 mètres du sol. La méthode est calibrée via les quelques stations météorologiques disponibles et donne une estimation de -94 °C, avec une marge d’incertitude d’environ 4 °C.
Les instruments des satellites ont révélé que les lieux les plus froids se situaient au niveau de petits bassins topographiques situés à plus de 3 800 mètres d’altitude, de surface inférieure à 200 km² et d’à peine quelques mètres de profondeur. Pour atteindre de telles températures – et malgré les conditions déjà très favorables au froid – il faut une situation météorologique particulière. Le ciel doit être dégagé, le vent quasi nul et l’air doit être extrêmement sec. En effet, la vapeur d’eau est un gaz à effet de serre et a donc tendance à réchauffer. Si ces conditions persistent suffisamment longtemps, le refroidissement radiatif est intense et l’air glacial tend à s’écouler dans les vallées et bassins du fait de sa densité où il continue de se refroidir. On y retrouve de ce fait les températures les plus froides de la planète. Lorsque les conditions calmes et très sèches s’amenuisent, l’air glacial est brassé avec l’air plus doux en altitude et l’épisode de froid intense prend fin.
Il est très probable que des valeurs aussi basses que -98 °C marquent une sorte de limite à l’intensité que le froid peut atteindre sur notre planète. En effet, plus l’air se refroidit, plus il a du mal à se refroidir. Pour que le mercure tombe aussi bas, la situation météorologique décrite précédemment doit persister pendant plusieurs jours. Si celle-ci persistait pendant plusieurs semaines, le thermomètre pourrait tomber légèrement en dessous, mais c’est quelque chose d’extrêmement peu probable selon T. A. Scambos, un des auteurs de l’étude. En outre, pour perdre de la chaleur à ces températures, la vapeur d’eau doit pratiquement être absente…
Au cours des deux prochaines années, les chercheurs ont prévu d’aller installer des instruments de mesure aux endroits les plus froids du continent, ces derniers étant spécialement conçus pour résister à ces conditions extrêmes. Cela permettra de quantifier plus précisément la température de l’air à 2 mètres – on a vu que la marge d’incertitude déduite des stations automatiques était assez large – et de mieux comprendre les processus en jeu pour potentiellement améliorer les modèles météorologiques et climatiques.