sens de l'humour
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Pourquoi votre sens de l’humour ne vient (probablement) pas de vos parent

Avoir de l’humour, c’est une qualité qu’on admire chez les autres, qu’on cultive parfois chez soi, et que l’on pense souvent innée. Après tout, n’est-ce pas comme l’intelligence, la créativité ou l’oreille musicale ? Mais selon une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université d’Aberystwyth au Royaume-Uni, cette intuition pourrait être erronée : le sens de l’humour ne serait pas transmis par les gènes. Une conclusion aussi déstabilisante qu’inattendue.

Quand la science tente de mesurer ce qui nous fait rire

Mesurer l’humour n’est pas chose facile. Ce qui fait rire une personne peut laisser de marbre une autre, tant le rire est une affaire de culture, de contexte et de perception. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs ont utilisé une méthode devenue classique dans les études sur l’humour : demander à un grand nombre de participants d’écrire des légendes pour des dessins humoristiques du New Yorker.

Plus de 1 300 jumeaux ont participé à l’expérience. Chacun devait proposer une légende drôle pour deux dessins différents : l’un représentant un ours mouillé en train de servir dans un restaurant, l’autre montrant une maison dans l’espace. Une fois les légendes soumises, elles ont été évaluées selon un modèle statistique rigoureux, permettant d’attribuer un score objectif de « capacité humoristique » à chaque participant.

En parallèle, les jumeaux devaient également évaluer leur propre sens de l’humour, ainsi que celui de leur frère ou sœur. Une façon d’étudier non seulement leurs performances réelles, mais aussi la perception qu’ils avaient d’eux-mêmes et de leur jumeau.

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Crédits : Halfpoint/istock

Des résultats qui font réfléchir

Les résultats sont clairs : la corrélation entre le score humoristique des jumeaux monozygotes (génétiquement identiques) n’est pas significativement plus élevée que celle observée chez les jumeaux dizygotes (qui partagent seulement 50 % de leurs gènes). En d’autres termes, les gènes n’expliquent pas la capacité à faire rire.

Autre constat surprenant : les participants étaient assez mauvais juges de leur propre humour. Leur autoévaluation était peu corrélée à leur score réel, tandis que l’évaluation faite par leur jumeau était beaucoup plus fiable. Apparemment, un frère ou une sœur jumelle vous connaît mieux que vous ne le pensez — mais cela ne signifie pas pour autant que vous tenez vos blagues de vos parents.

Un défi aux théories évolutionnistes de l’humour

Ce constat heurte une idée bien ancrée dans la recherche en psychologie évolutionniste : l’humour serait un trait sélectionné pour ses bénéfices sociaux et reproductifs. Il favoriserait la cohésion de groupe, réduirait le stress dans les situations conflictuelles, et serait un atout dans la recherche de partenaires. Si tel est le cas, comment expliquer que ce trait ne soit pas héréditaire, comme d’autres compétences cognitives ou créatives ?

L’auteur principal de l’étude, Gil Greengross, reconnaît que les résultats sont déroutants. Il suggère que le sens de l’humour serait un phénomène plus complexe qu’il n’y paraît, influencé par une combinaison subtile de traits de personnalité, de capacités cognitives, et surtout de facteurs environnementaux. L’expérience sociale, la culture, l’éducation, ou même les amitiés pourraient jouer un rôle bien plus important que l’ADN.

Une étude à prendre avec précaution

Il convient toutefois de rester prudent. Cette recherche ne permet pas de conclure définitivement que l’humour n’a aucune base génétique. Elle repose sur un type d’humour très spécifique, celui des légendes dessinées, qui ne reflète pas forcément d’autres formes plus spontanées ou sociales (comme le jeu de mots, l’improvisation ou la satire). De plus, les participants étaient majoritairement plus âgés, ce qui pourrait biaiser les résultats, notamment à cause de différences générationnelles dans l’appréciation de l’humour.

Enfin, comme le souligne l’équipe, il s’agit de la première étude de ce genre. D’autres recherches, avec des méthodologies différentes et des échantillons plus diversifiés, seront nécessaires pour confirmer ou nuancer ces résultats.

Rire, une affaire de culture ?

Si ces conclusions se vérifient, elles pourraient bien changer notre vision de ce que signifie « avoir de l’humour ». Plutôt qu’un don transmis à la naissance, ce serait un langage culturel et social, que l’on apprendrait à travers les expériences, les interactions, et les influences qui nous entourent. Ce serait une bonne nouvelle : cela voudrait dire que l’humour se cultive, et que tout le monde, avec un peu de pratique, peut apprendre à faire rire.

Alors, la prochaine fois que vous sortez une blague douteuse en famille, inutile de rejeter la faute sur vos gènes. C’est probablement juste une question d’entraînement.

Brice Louvet

Rédigé par Brice Louvet

Brice est un journaliste passionné de sciences. Ses domaines favoris : l'espace et la paléontologie. Il collabore avec Sciencepost depuis près d'une décennie, partageant avec vous les nouvelles découvertes et les dossiers les plus intéressants.