Depuis quelques années, les chiffres sont clairs : le cancer progresse chez les jeunes adultes. Alors que cette maladie était longtemps perçue comme un fléau touchant surtout les personnes âgées, de plus en plus de diagnostics concernent désormais des patients dans la vingtaine, la trentaine ou la quarantaine. Face à ce constat inquiétant, les chercheurs tentent de comprendre ce qui alimente cette hausse inattendue. Et plusieurs pistes se dessinent.
Une hausse mondiale qui ne passe pas inaperçue
Les données épidémiologiques montrent une tendance alarmante. Dans de nombreux pays, le nombre de cancers dits « précoces » — c’est-à-dire diagnostiqués avant 50 ans — augmente. Les cas de cancers du côlon, du pancréas, du foie ou encore du sein, qui étaient historiquement beaucoup plus fréquents chez les personnes âgées, touchent désormais des adultes parfois âgés d’à peine 30 ou 40 ans.
Cette évolution n’est pas marginale : selon certaines estimations, la proportion de cancers précoces a progressé de plus de 70 % en seulement trois décennies à l’échelle mondiale. Les causes de cette hausse ne peuvent pas être expliquées uniquement par un meilleur dépistage ou des techniques de diagnostic plus sensibles. Bien sûr, ces facteurs jouent un rôle, mais ils ne suffisent pas à justifier une telle accélération.
Ce qui interpelle particulièrement les scientifiques, c’est que cette hausse concerne des pays aux contextes très différents, qu’ils soient riches ou en développement. Cela suggère des causes globales, liées à des changements profonds dans notre environnement, notre mode de vie et nos comportements.
Alimentation et mode de vie : des habitudes pointées du doigt
La première explication avancée est celle de nos habitudes alimentaires. Depuis plusieurs décennies, l’alimentation s’est industrialisée : plus de produits ultra-transformés, plus de sucres ajoutés, plus de graisses saturées et moins de fibres. Ces changements ne sont pas anodins. Ils influencent directement le fonctionnement de notre organisme, favorisant l’obésité, l’inflammation chronique et, à long terme, le développement de cancers.
L’obésité elle-même est devenue un facteur de risque majeur. On sait aujourd’hui qu’elle augmente les probabilités de développer des cancers digestifs, hormonodépendants ou liés au foie. Or, les générations les plus jeunes ont grandi dans un environnement où la sédentarité et les régimes déséquilibrés sont devenus la norme. L’exposition à ces facteurs dès l’enfance pourrait expliquer pourquoi certains cancers surviennent désormais plus tôt.
À cela s’ajoute la consommation d’alcool et de tabac, encore très répandue, mais aussi l’impact du manque d’activité physique et du stress chronique. Ces éléments, pris isolément, peuvent sembler anodins, mais leur accumulation crée un terrain fertile pour l’apparition de maladies graves bien plus tôt qu’on ne l’imaginait auparavant.

Bactéries intestinales et santé du microbiome
Depuis quelques années, un autre acteur attire l’attention : notre microbiote intestinal, c’est-à-dire l’ensemble des bactéries qui peuplent notre tube digestif. On sait désormais qu’il joue un rôle fondamental dans l’immunité, la digestion et même la régulation de l’inflammation.
Or, ce microbiome est particulièrement sensible à notre environnement. Les antibiotiques pris à répétition, une alimentation pauvre en fibres et riche en produits transformés, mais aussi certains additifs alimentaires, peuvent déséquilibrer cette flore. Ce déséquilibre, appelé dysbiose, a été associé à un risque accru de plusieurs cancers, notamment digestifs.
Les chercheurs suspectent que les générations récentes, exposées dès l’enfance à ces perturbations, développent un microbiote appauvri et moins diversifié. À long terme, cela pourrait favoriser l’apparition précoce de maladies chroniques et de cancers.
Au-delà de ce déséquilibre global, certaines bactéries spécifiques semblent capables de sécréter des toxines qui endommagent directement l’ADN des cellules. C’est le cas, par exemple, de souches d’Escherichia coli produisant une molécule appelée colibactine, dont l’action mutagène a été observée dans certains cancers du côlon. Ces toxines bactériennes pourraient donc agir comme des déclencheurs biologiques concrets, ajoutant une couche de complexité à la relation entre microbiote et développement tumoral.
Cette piste reste encore exploratoire, mais elle gagne en crédibilité au fil des études. Elle ouvre aussi une voie intéressante pour la prévention : protéger et entretenir son microbiome pourrait devenir une stratégie complémentaire dans la lutte contre les cancers.
Microplastiques et polluants environnementaux
Un autre suspect entre en scène : les polluants modernes. Nos sociétés produisent chaque année des millions de tonnes de plastiques, dont une partie se dégrade en microplastiques invisibles à l’œil nu. Ces particules sont désormais retrouvées partout : dans l’air, l’eau potable, les aliments et même dans le sang humain.
Si les conséquences exactes sur la santé ne sont pas encore totalement connues, plusieurs études suggèrent que ces particules pourraient provoquer des inflammations, perturber les cellules et favoriser certains cancers. Elles pourraient aussi agir comme « transporteurs » de substances chimiques toxiques, aggravant leurs effets dans l’organisme.
À côté des microplastiques, d’autres polluants environnementaux sont en cause : pesticides, perturbateurs endocriniens, résidus chimiques présents dans l’eau ou dans l’air. L’exposition à ces substances est bien plus précoce et constante qu’autrefois. De nombreux enfants grandissent désormais dans un environnement saturé de produits chimiques, ce qui pourrait contribuer à l’apparition plus rapide de certaines maladies.

Que peut-on faire pour limiter les risques ?
Face à une tendance aussi inquiétante, la question est inévitable : peut-on agir ? La réponse est oui, au moins en partie. Si nous ne maîtrisons pas encore tous les facteurs, certaines mesures de prévention restent efficaces et accessibles.
Sur le plan individuel, adopter une alimentation riche en fibres, en fruits et légumes, limiter les produits ultra-transformés, réduire la consommation d’alcool et de tabac, et maintenir une activité physique régulière sont des leviers puissants. Ces habitudes ne garantissent pas une protection absolue, mais elles réduisent nettement le risque.
Du côté collectif, il est nécessaire de renforcer la recherche pour mieux comprendre les mécanismes en jeu, mais aussi d’agir sur les causes environnementales. La réduction des polluants, la surveillance des microplastiques, et une meilleure réglementation des additifs alimentaires et des pesticides font partie des pistes envisagées.
Enfin, il est crucial d’encourager le dépistage précoce. Plus un cancer est diagnostiqué tôt, meilleures sont les chances de guérison. Face à l’évolution actuelle, certains experts plaident déjà pour un abaissement de l’âge de dépistage de certains cancers, comme celui du côlon.
