Plus c’est gros, mieux c’est ? Dans le monde animal, c’est en tout cas bien souvent le cas. Et le nasique, un singe en danger de disparition endémique de Bornéo, ne semble pas déroger à cette règle. Les mâles de cette espèce arborent en effet un gros nez long, bulbeux et retombant qui vaut parfois à ce primate la triste distinction d’animal le plus laid du règne animal. Mais que s’est-il passé dans leur évolution pour qu’ils développent une caractéristique physique aussi protubérante qu’étrange en plein milieu du visage ? D’après une étude récente publiée le 23 mai 2024 dans le journal Scientific Report, il se pourrait en tout cas que loin de mal le vivre, ce nez ingrat pourrait même être un avantage plus que certain pour ces singes qui vivent dans le sud-est de l’Asie.
Le nez du nasique : disgracieux, mais avec plein d’avantages
Les nasiques sont des primates arboricoles qui vivent non loin des rivières et des forêts de mangrove boueuses où ils se nourrissent principalement de feuilles. Là-bas, certains vivent dans de grands groupes d’une vingtaine d’individus constitués d’un mâle entouré de son harem. Il y a aussi des groupes de mâles célibataires qui vivent ensemble. Chez tous ces mâles, l’on retrouve toujours une même caractéristique que le nom latin de l’espèce, plutôt à propos, laisse suggérer : Nasalis larvatus. Le nez chez les spécimens mâles est en effet particulièrement large, mais pourquoi au juste ?
Une équipe de chercheurs de l’Université nationale australienne située à Canberra a ici cherché à leur tirer les vers du nez à l’aide d’une analyse plus poussée du crâne de l’animal. Aidés des scans 3D de 33 spécimens obtenus auprès de différentes collections dans des musées, ils ont pu réaliser des mesures précises pour déterminer la taille et la forme du crâne. Ils ont également pris soin de comparer ces mesures avec celles du Colobus polykomos, du Cercopithecus mitis et du macaque crabier (Macaca fascicularis), trois singes de l’Ancien Monde .

Une preuve que la taille, ça compte finalement ?
Ces analyses leur ont permis de découvrir que la taille marquée comme la forme unique et plus ouverte de la cavité nasale des mâles avaient évolué spécifiquement pour leur permettre de lancer des appels plus sonores et plus graves, notamment afin d’émettre des rugissements nasaux et de criailler. « Être capables d’émettre des appels plus forts et graves grâce à une cavité nasale plus longue et plus large aide les singes mâles à affirmer leur bonne santé et leur dominance », détaille Katharine Balolia, l’auteure principale de l’étude qui est aussi anthropologue à l’université australienne à l’origine des travaux.
Cela les aide ainsi à « attirer les femelles et garder les autres mâles à distance. » Et plus ils attirent de partenaires potentielles en exhibant par ce biais leur statut, plus ils auront de chances d’avoir une descendance plus importante. Les scientifiques suggèrent en tout cas que ce nez, qui se redresse et devient plus rigide au moment de l’émission d’un cri, pourrait paraître séduisant visuellement pour les femelles en quête d’un compagnon pour se reproduire.
Un singe dont le nez grandit au fil du temps et s’inscrit bien dans son environnement
Dans leur étude, les chercheurs n’excluent pas ici l’importance de l’environnement. Ils pensent en effet qu’il faut prendre en compte la jungle qui les entoure pour expliquer la largeur de leur nez. « Les nasiques vivent dans des mangroves côtières et des environnements forestiers où ils peuvent souvent avoir du mal à se voir à travers les arbres. Des cris nasalisés forts sont alors importants pour communiquer les uns avec les autres, surtout parmi les mâles », explique la chercheuse.

D’après ces recherches, les tissus de chair qui entourent le nez sont par ailleurs devenus plus gros au fil du temps, permettant ainsi d’émettre des sons clairs plus aisément. La partie de cartilage à laquelle la chair est attachée devient par ailleurs de plus en plus large avec l’âge. Cette analyse concorde ainsi plutôt bien avec les observations qui laissent penser que les nasiques plus jeunes avec un nez plus petit et se regroupent entre célibataires, et que les individus d’âge mûr dominants se retrouvent à la tête d’un harem. Cela permet en résumé d’affirmer que le nez agit aussi bien comme une forme de signal visuel qu’acoustique associé à un statut plus élevé.
En plus de lever le voile sur les raisons qui se cachent derrière l’anatomie surprenante de ces animaux, cette étude ajoute en tout cas une preuve de plus que l’étude de crâne peut permettre d’obtenir de nombreuses informations sur une espèce, et notamment ici sur le comportement social de certains primates.