Certains animaux peuvent ressentir de la joie ou une profonde détresse émotionnelle. Toutefois, si selon de nouvelles recherches, certains primates peuvent s’agacer face à des situations embarrassantes, aucun animal n’excelle autant dans la gêne que les humains. Dans une situation inconfortable, on peut en effet vite se sentir si mal que nos joues se teintent de rouge à mesure que nos vaisseaux sanguins se dilatent, une réaction purement physiologique qui laisse ainsi peu de doutes sur ce qui nous passe par la tête et le malaise ressenti. Néanmoins, à quoi doit-on ce que Darwin décrivait comme « la plus humaine de toutes les expressions » ? En bref, pourquoi rougit-on ? Pour le savoir, des chercheurs sans pitié ont décidé de mettre des jeunes dans une situation embarrassante, le karaoké, afin d’étudier leur réaction.
Du karaoké et une « foule de spectateurs » : les ingrédients de la honte
Pour découvrir pourquoi l’humain peut parfois rougir, des chercheurs de l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas) assistés par des collègues de l’Université de Chieti (Italie) ont recruté quarante jeunes femmes de seize à vingt ans, particulièrement sensibles au jugement d’autrui. Pour créer efficacement une sensation de gêne, ils leur ont demandé de chanter en karaoké des chansons très difficiles à interpréter. Les participantes avaient en effet le choix entre la chanson Libérée, délivrée, la chanson phare de la Reine des Neiges, Hello de la chanteuse Adèle, All I Want For Christmas Is You de la diva Mariah Carey et, pour faire bonne mesure, All The Things She Said du groupe t.A.T.u.
Les volontaires ont ensuite été invitées à visionner l’enregistrement de leur séance de chant laborieuse en pleine IRM. Pour s’assurer d’obtenir la réaction voulue, l’équipe de scientifiques a toutefois fait monter la pression d’un cran en expliquant qu’un public allait également visionner la performance en même temps qu’elles dans une pièce différente. Enfin, elles ont pu regarder les enregistrements des autres participantes qui incluait une chanteuse professionnelle déguisée.
Quelles furent les réactions observées face au karaoké ?
Les chercheurs ont immédiatement remarqué que les joues des jeunes femmes et des adolescentes devenaient visiblement plus rouges lorsqu’elles visionnaient leur propre performance en comparaison avec les moments où elles visionnaient les autres chanter. Si cette réaction était attendue, les données obtenues au cours de l’IRM fonctionnelle (IRM-f) ont néanmoins été plus parlantes et riches en enseignement. Les images ont en effet montré un pic d’activité au niveau du cervelet, une zone cérébrale habituellement impliquée dans les mouvements et la coordination et indiquant ici une forte excitation émotionnelle. Le cerveau des chanteuses en herbe montrait aussi des signes d’activité dans les zones associées au traitement des images et à l’attention, là encore surtout au moment de regarder leur propre vidéo.
En revanche, les zones généralement impliquées lorsque l’on s’inquiète de la manière dont les autres pourraient nous juger étaient inactives. Ces observations montrent ainsi que les participantes étaient plus concernées par la qualité de leur prestation que par le regard des autres sur cette séquence.
Une différence avec les anciennes théories sur l’impact de l’opinion d’autrui
« En psychologie, il y a cette idée qui date de Darwin selon laquelle le rougissement se produit quand on pense à ce que les autres pensent de nous, ce qui implique des aptitudes cognitives relativement complexes. […] En nous basant sur ces résultats, nous en avons conclu qu’imaginer ce que les autres peuvent penser pourrait ne pas être nécessaire pour que le rougissement se produise », explique la Dre Milica Nikolic, l’auteure principale de ces travaux. Cette étude, publiée le 17 juillet 2024 dans Proceedings of the Royal Society B, va donc à l’encontre des théories selon lesquelles les joues rougissantes seraient une réponse émotionnelle spontanée sans réflexion sur soi préalable. « Le rougissement pourrait faire partie des excitations automatiques ressenties quand vous êtes vulnérables et qu’il se passe quelque chose de relatif au moi », ajoute-t-elle.
Il convient cependant de garder un regard critique sur ces résultats. Les chercheurs affirment en effet que l’identification d’activités cérébrales liées à des processus mentaux complexes tels que l’excitation et l’attention peut être complexe. Ils soulèvent en outre une autre limite à l’étude : une cohorte assez limitée et totalement féminine qui ne permet donc pas une généralisation des résultats. D’autres recherches seront donc nécessaires pour vérifier ces analyses.
Consultez l’étude en détail juste ici.